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Nous vivons un choc mondial, un état d’exception dans l’histoire de l’humanité. C’est d’ailleurs une des définitions possibles de la crise : un intervalle d’exception entre deux phases de normalité. Si les analyses peuvent diverger dans les analyses de la crise sanitaire et surtout sur les décisions que prennent les États, le choc que la pandémie de 2020 provoque est unanime.
La question est alors de savoir comment comprendre ce choc, comment le décrire, le nommer, l’identifier peut-être.
« Crise sanitaire » est sans doute l’expression la plus globale. Etienne Balibar proposait dans une interview[1] d’analyser ce mot « crise » comme une poupée russe. Il s’agit de comprendre que la crise sanitaire est une poupée qui contient celle de la crise économique, qui elle-même contient celle de la crise sociale. A ces trois poupées, Etienne Balibar propose d’en penser une quatrième. La dernière poupée lovée au sein des trois autres est une crise des valeurs, autrement dit une crise morale. Elle remet en cause les valeurs qui fondent notre civilisation. Etienne Balibar propose de la nommer « crise spirituelle ». Il l’explique ainsi : la situation dans laquelle nous plonge la crise sanitaire, est celle d’une crise entre plusieurs systèmes de valeurs qui impliquent une conception de la communauté, de la vie et de la mort. La crise du Covid 19 comme on l’appelle aussi, met en cause la place de la mort dans la vie, en ce sens, elle est donc une crise dans notre conception de l’humanité. La crise sanitaire, met au jour l’espèce humaine comme une espèce biologique disposant du système de communication le plus systématique et le plus fragile entre l’ensemble des membres qui la compose. L’idée d’humanité est une idée morale, qui pose aujourd’hui comme jamais depuis très longtemps, la question de sa signification.
Pour clore son argumentation, Étienne Balibar remarquait : aucun de ces aspects de la crise contemporaine, aucune de ces poupées, ne sera plus facile à trancher que les autres.
Poursuivons peut-être encore un peu. La crise de 2020 n’est définitivement pas comparable à la crise de 2008. Ce n’est pas une crise financière. En tant que crise économique et sociale à venir, elle est peut-être davantage comparable à la crise de 1929. Mais attention, la crise de 1929 n’interrogeait pas notre humanité avec la même force.
Le 11 avril [2], le président du MEDEF et la secrétaire d’état à l’économie annonçaient que les français devraient travailler plus pour faire face à la crise économique. Il faudrait remettre en cause le droit du travail (congés payés, temps de travail…). Bref, pour répondre à la crise que nous vivons, il faudrait plus de libéralisme.
Le plus étonnant est peut-être que cette réponse libérale à la crise est la plus immuable qui soit dans notre monde bouleversé. Aux crises depuis la seconde guerre mondiale, le capitalisme répond invariablement qu’il faut aller plus loin. Aller plus loin dans la logique libérale pour répondre aux difficultés rencontrées, mais aussi aller plus loin pour ne pas que la crise se reproduise.
Et si nous formulions l’hypothèse que le capitalisme tire sa force précisément de sa capacité à proposer une même réponse en toutes occasions. Et si le discours capitaliste le plus primaire s’imposait depuis des dizaines d’années précisément parce qu’il représente le réconfort de ce que l’on connait, le point de repère, le phare dans la tempête des péripéties de nos sociétés…
Dans l’hypothèse où Etienne Balibar a raison, si cette crise est une poupée russe qui descend jusqu’à une crise de civilisation, alors il est fort à craindre que continuer à répondre par l’immuabilité libérale soit une folie. Une folie plus profonde qu’elle ne l’a jamais été.
En tant que mise en cause, bouleversement, renversement des valeurs et des repères, une crise de civilisation est avant tout, une exigence. Elle exige des réponses. Des réponses nouvelles. Peut-être faut-il invoquer le courage. Il nous faut faire face. Pareils à "Fearless Girl" de Kristen Visbal (3), il nous faut affronter ce qui nous met en cause. De cette statue dressée, défiant le taureau d'Arturo Di Magino puis la bourse de Wall Street, peut-être faut-il nous inspirer.

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Du courage, encore, pour faire face à l’inconnu. Pour inventer la société de demain et ne pas se replier sur nous-mêmes. Entendons ce cri de Baudelaire (4) :
« Nous voulons, tant ce feu nous brule le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ! »
(3) http://tasteofusa.fr/la-fearless-girl-fait-maintenant-face-a-la-bourse-de-new-york/
(4) "Le voyage" dans "Les fleurs du mal" de Charles Baudelaire