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Billet de blog 6 avril 2020

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« Trop tard ? L'avenir sera ce que vous en ferez »

Les discours prophétiques et apocalyptiques se multiplient sur l’après confinement. Et pourtant, rien n’est joué, tout est à penser et à faire. Nous vivons une crise mais notre temps n’est pas celui d’une tragédie grecque.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Geralt

Ces jours-ci les discours, analyses, projections se multiplient sur l’après confinement. On nous promet une crise économique sans précédent. Une crise politique. Une crise écologique avec les mécanismes de compensation. L’apocalypse. De raccourcis en raccourcis, on nous prédit qu’il y a pire que ce confinement : l’après confinement ! Pire, bien pire. Le pire de tout, pire que toutes les catastrophes et les crises depuis des siècles.

Notre temps collectif est mis à mal. Au plan des déclarations, tout se passe comme si le pire était déjà joué, enclenché.

Cette rhétorique emprunte à certains marqueurs de la tragédie grecque. Au début de l’histoire, le héros apprend qu’il va mourir. Il n’y a aucune alternative. Les forces en présence le dépassent. Sa mort est déjà jouée. Le héros devient un héros parce qu’il apprend en trois actes à mourir. Il apprend à accepter son destin.

Je ne crois pas que la rhétorique du "déjà joué" soit acceptable s’agissant du temps qui nous concerne. D’abord parce que le temps de la société n’est pas le choix de forces qui nous dépassent, mais la conjonction de toutes nos forces individuelles. Ensuite, parce qu’on a beau le crier très fort et très souvent, le pire n’est pas certain. Il sera le fruit de nos actes, celui de notre communauté, ce temps commun des choix politiques, des innovations, du travail, des institutions, des commerces, des vacances... Nous choisissons son rythme, ce tempo des espoirs et des créations, ce tempo collectif des vies individuelles. Nous ne deviendrons pas des héros en acceptant lucidement la pauvreté ou la fin des démocraties et de la planète.

Quel est alors ce temps qui nous prend à la gorge ? Que faisons-nous de notre temps pour que l’après confinement devienne un horizon à craindre ?

La rhétorique qui se fait jour ressemble au temps que vit une personne durant une dépression. Eugène Minkowski, médecin psychiatre, a décrit le temps vécu par ses patients atteints de dépression suite à la Grande Guerre (1914-1918). La personne malade vit alors le temps sur le mode de l’impossible. Elle vit le temps comme si le futur était déjà décidé, comme s’il écrasait le présent du sceau de l’impossible jusqu’à réduire l’individu lui-même à l’impuissance, l’impossibilité d’agir. Le futur est perçu comme certain, terrible et imminent.

Je voudrais simplement demander à ce que l’on ne nous ferme pas le temps. Savoir que l’avenir économique sera compliqué, savoir qu’il faudra de nouveaux équilibres. Oui. Anticiper pour réfléchir. Réfléchir tous ensemble. Mais pas de défaitisme. Et pas d’impératif.

Parce que le futur n’est pas encore, il n’est pas encore impossible à vivre ou à changer. Le présent comme le futur doivent rester des temps d’action. Au nom de l’incertitude et de l’irréalisé, nos mots se doivent d’ouvrir l’avenir. Anticipons avec la force que donne l’indécidable. La force de l’invention.

Après avoir commencé mon article par les mots de Philippe Delerm (le titre), je voudrais finir par ces autres mots de Marcel Proust. Dans « Le temps retrouvé » il écrit : « Nos plus grandes craintes, comme nos plus grandes espérances, ne sont pas au-dessus de nos forces, et nous pouvons finir par dominer les unes et réaliser les autres. »

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