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Billet de blog 16 avril 2020

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La puissance du non-agir

Les chiffres de violences augmentent. Ceux de la détresse psychologique tout autant. Face au prolongement du confinement, quelques pistes de sagesse pour essayer de comprendre et vivre autrement ce qui nous arrive. Et si le Tao transformait notre regard ?

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Illustration 1
le lac Lushan © Chuxiyue

Le confinement est une exhortation à ne pas agir. A ne plus faire, ce que nous avons pour habitude de faire. Certains textes et certaines sagesses explorent la force du retranchement de l’action.

« Restez chez vous ». La phrase martèle nos tempes. Elle nous harcèle sur tous les médias. L’ordre est d’abord une interdiction de mouvement, mais il résonne comme un obstacle à l’action. Si certains salariés sont en télétravail, si s’occuper de ses enfants et de ses proches demande du temps et de l’énergie, si les courses et le ménage prennent eux aussi du temps, le confinement est vécu comme un empêchement, une impossibilité de, une inaction forcée.

Être confiné, c’est « ne pas pouvoir faire ».

La science et les autorités expliquent que « restez chez nous », ne pas sortir, se priver de certaines actions, constituent la défense la plus efficace, l’acte le plus puissant, l’outil de combat dont nous disposons.

Autrement dit, le confinement nous fait percevoir la puissance dont recèle le retrait de l’action. La suspension de nos activités. Combattre par l’inaction met en lumière comme très rarement dans nos sociétés occidentales capitalistes, la puissance du non-agir.

Ce sont les mots de penseurs et de sages qui résonnent.

Pascal a écrit que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer, en repos dans une chambre »[1]. Pour Pascal, l’être humain est incapable d’être heureux en restant chez lui et seul dans une chambre, parce qu’alors, il pense à sa condition, à son existence. Se faisant, l’être humain pense à sa fragilité et à sa mort. Pour Pascal, l’être humain se divertit, parce que notre mortalité rend l’immobilité et la réflexion douloureuse, malheureuse.

Pascal ne pense ainsi pas la puissance du non-agir, mais explique pourquoi notre situation de retranchement et d’inaction peut être si douloureuse.

Un texte de Lao-Tseu résonne. Le Tao-tö King est un des livres sacrés du taoïsme. Il est très court. 90 pages d’aphorismes. Quelques pages de sagesse et de beauté.

Ces mots de Lao-Tseu sont un appel à l’inaction. Se retrancher de l’agitation n’est pas perçu comme chez Pascal comme une confrontation au malheur de la mortalité. L’inaction est une sagesse. Lao-Tseu parle de « l’efficace du non-agir ». Il écrit :

« Diminue et diminue encore 

Pour arriver à ne plus agir.

Par le non-agir

Il n’y a rien qui ne se fasse.

C’est par le non-faire

que l’on gagne l’univers ».

La capacité à être présent au monde, à se rendre disponible à la puissance du néant, libère cette puissance. Le Non-être n’est pas négatif.

« L’Être donne des possibilités, c’est par le Non-être qu’on les utilise » écrit Lao-Tseu.

Dans le Tao, tout est lié. Se retrancher de l’action, c’est se rendre disponible à l’expérience essentielle : les contraires s’engendrent les uns les autres, ils se complètent, se tiennent l’un l’autre, n’existeraient pas l’un sans l’autre.

« Car l’être et le néant s’engendrent.

Le facile et le difficile se parfont.

Le haut et le bas se touchent.

La voix et le son s’harmonisent.

L’avant et l’après se suivent.

C’est pourquoi le saint adopte

la tactique du non-agir,

et pratique l’enseignement sans parole.

Toutes choses du monde surgissent

sans qu'il en soit l’auteur »

Le non-agir est la vérité du monde :

« C’est par le sans-désir et la quiétude

que l’univers se règle de lui-même »

Ne-pas-agir, est alors comme une ascèse. Certaines formules du texte rappellent les morales de la Grèce Antique. Ils appellent à limiter nos désirs et attentes. « Qui sait se borner / aura toujours assez ».

L’inaction est l’état dans lequel le sage, le saint, se rend disponible, ouvert à cette vérité du monde. Plus encore, cesser d’agir, permet de renouer avec le monde plus intensément.

« Sans franchir sa porte

on connait l’univers.

Sans regarder par sa fenêtre

on aperçoit la voix du ciel.

Plus on va loin,

moins on connait.

Le saint connait sans voyager,

comprend sans regarder,

accomplit sans agir. »

Le confinement  est peut-être l’occasion d’explorer cette expérience. Ou du moins, un temps disponible pour explorer ces mots si beaux et profonds. Pour explorer leurs résonances multiples que ce soit avec les thèses sur la décroissance, les réflexions écologiques mais aussi tellement d’autres, politiques et intérieures.

Si la force de ce texte taoïste a fait l’objet de très nombreuses et belles analyses, mais aussi de critiques constructives et passionnantes, je crois qu’il est important pour les cheminements auxquels il conduit. Je voudrais finir sur ces derniers mots qui esquissent de quelle manière notre situation confinée, peut mener à la réalisation d’une société meilleure et nous donner la force de mener des projets fous.

« Pratique le non-agir,

exécute le non-faire,

goûte le sans-saveur,

considère le petit comme le grand

et le peu comme beaucoup.

Attaque une difficulté dans ses éléments faciles ;

Accomplis une grande œuvre par de menus actes.

La chose la plus difficile au monde

se réduit finalement à des éléments faciles.

L’œuvre la plus grandiose s’accomplit

nécessairement pas de menus actes. »

[1] Pascal, Les pensées

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