Elsa Bouteville, Kamel Chabane et Marguerite Graf

Enseignants et auteurs du collectif « Territoires vivants de la République »

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Tribune 30 juin 2023

Elsa Bouteville, Kamel Chabane et Marguerite Graf

Enseignants et auteurs du collectif « Territoires vivants de la République »

Aux enfants de banlieue

De notre fonction d’enseignants, nous avons un objectif viscéral : tout faire pour contrer le piège tendu des inégalités sociales. La banlieue brûle, le monde a les yeux rivés sur elle. Nous savons, pour notre part, les richesses qu’elle détient. Cette force vive qu’elle retient. À nous d’aller la mettre en lumière, à nous de ne jamais renoncer.

Elsa Bouteville, Kamel Chabane et Marguerite Graf

Enseignants et auteurs du collectif « Territoires vivants de la République »

La banlieue brûle. Les médias accourent, ils s’excitent, diffusent en boucle les seules images qu’ils sont capables d’en montrer : feu, voitures calcinées, jeunes en furie, violence.

Un jeune homme de 17 ans est mort. Le jour même, à l’autre bout de la France, Emmanuel Macron se rendait à Marseille, petit tour des écoles et puis s’en va. Les débats s’enchainent à la télé. On y parle police, refus d’obtempérer, légitime défense, émeutes de quartier, contrôle au faciès, bavure policière. Et c’est toujours la même rengaine, le même débat. Toujours les mêmes jeunes montrés et remontrés sous leur plus mauvais jour, brûlant des voitures, tirant des mortiers. Nanterre, Asnières, Colombes, Suresnes, Clichy-sous-Bois, Mantes-la-Jolie…La banlieue brûle. Une cellule de crise se réunit. C’est l’urgence. Vite, éteindre le feu, stopper l’agitation, ramener les jeunes au calme. Passer au karcher toute cette racaille ?

Le silence reviendra un jour, les feux cesseront, les caméras iront voir ailleurs et la vie reprendra son cours. La banlieue intéresse, inquiète, préoccupe par son côté sombre. On y craint les soulèvements, on y redoute les radicalisations mais tant qu’elle dort et ne fait pas de bruit, on n’en montre rien. Quelques associations par ci par là, quelques initiatives de temps à autre, et puis plus rien. C’est sans doute pour cette raison, cette injustice aussi que le collectif Territoires Vivants de la République est né. Rassemblant une quarantaine de personnes, professeurs du primaire et secondaire, directeurs d’école, inspecteurs, dispersés dans toute la France et motivés par une seule cause : rendre justice aux jeunes de banlieue.

De notre fonction d’enseignants, nous avons un objectif viscéral : tout faire pour contrer le piège tendu des inégalités sociales, tout faire pour que les élèves que nous côtoyons au quotidien puissent se saisir de l’école comme d’un instrument d’émancipation, tout faire pour dire que non, la banlieue n’est pas ce lieu où ne s’inscrivent que le pire, la violence, l’errance et l’échec. C’est bien à ce combat que nous nous livrons chaque jour dans nos classes, nos écoles reléguées.

Nous ne nous voilons pas la face, ne nous racontons pas d’histoires. Il y a des difficultés, des inégalités, des tensions, des quêtes, des bagarres parfois. Tout cela nous le savons. Mais nous savons aussi la part de réussite qu’il est possible de provoquer. Aller chercher un jeune dont on n’attendait plus rien et le voir changer, s’ouvrir, se questionner, remettre en question ses idées…Oui, la banlieue a ses succès.

En 2018, nous publiions Territoires Vivants de la République (La Découverte). En 2022, nous publiions Parce que chaque élève compte (Éditions de l’Atelier). Deux ouvrages qui disent comment et combien il est possible de déjouer, en partie, la fatalité sociale. Deux ouvrages qui témoignent de nos interrogations et nos réussites en banlieue. Loin des lieux communs, nous refusons l’idée d’une focalisation à sens unique sur les jeunes des quartiers, refusons le fait que les projecteurs ne soient braqués sur eux uniquement lorsque les feux s’allument, refusons également que l’école de la banlieue soit traitée d’abord (et parfois seulement) en terme « quantitatif ». Plus d’heures d’école, plus de profs, plus de chauffage, moins de vacances d’été.

À Marseille, visitant une école, Emmanuel Macron n’a pas saisi l’ampleur de la tâche. La forme a pris le dessus sur le fond. Il a évité les sujets essentiels, mis de côté les dossiers incontournables. Que fait-on dans les murs de l’école ? Quels projets avec les élèves de Marseille ? Quelle attitude face aux enfants qui se montrent « difficiles » ? Quel regard sur les élèves ? Quelle exigence vis-à-vis d’eux ? Quelle part accordée à la culture ? Quelle relation instaurée avec les familles ?

À Marseille, il a été question d’allongement du temps de travail. Mais l’école n’est pas une entreprise, l’école ne se gère pas à coup de mesurettes.

On ne sauve pas les enfants de la misère en colmatant des trous béants sans même regarder ce qu’il y a dans le fond. Les élèves enlisés dans leurs problèmes de vie, les rétifs, les jeunes plein de rage et de rancœur ne s’attrapent pas à coups de vide. C’est par la relation, la pédagogie et la mise en œuvre de projets où ils s’engagent pleinement, et qui font sens, que les enfants s’élèvent. C’est par un regard porté sur eux, un regard empli d’ambition et d’exigence qu’ils ouvrent leurs propres perspectives. Une école qui n’est ni un laboratoire d’expériences du futur, ni un lieu d’accueil pour « pauvres enfants dont on ne sait plus quoi attendre ».

La banlieue brûle, les médias accourent. Où sont-ils lorsque, de leurs classes, les élèves réalisent des projets, gagnent des concours, parlent fraternité, débattent laïcité, peignent des fresques contre les concurrences mémorielles ? Tous ces jours où les quartiers sont calmes, où les Nahel, Mohamed, Fatuma, Tourkia, Djoumo, Mehdy, Ali, Inès ne brûlent pas de voitures, tous ces jours où le poids des inégalités sociales pèse jusque dans leur cartable mais qu’ils nous suivent, prêts à s’en sortir, prêts à se dépasser. Donnons-leur une école exigeante, capable de les embarquer plus haut que les tours Aillaud, plus loin que les vilaines images renvoyées par CNews. Rendons justice à tous ces enfants qui, non, ne sont pas les mauvais habitants de territoires « perdus », ni les futurs délinquants caricaturés.

La banlieue brûle, le monde a les yeux rivés sur elle.

Nous savons, pour notre part, les richesses qu’elle détient. Cette force vive qu’elle retient. À nous d’aller la mettre en lumière, à nous de ne jamais renoncer.

Elsa Bouteville, Kamel Chabane, Marguerite Graff du collectif Territoires vivants de la République