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Billet de blog 31 octobre 2014

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Quel Liban aurons-nous en 2020 ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jusqu’à maintenant, cette date représentait la célébration d’un centenaire d’un Grand Liban où une poignée de Libanais, courageux et téméraires, préférèrent un Grand Liban à une montagne libanaise dominée par les chrétiens et les Druzes. Ces derniers devenaient minoritaires dans ce Grand Liban qu’ils réclamèrent au général Clemenceau. A la tête de cette poignée de Libanais, il y avait le Patriarche maronite qui, non seulement tint tête au général, mais réussit à étendre son Grand Liban.

Dans six petites années, en 2020, les Libanais ne savent quel Liban ils auront. Le Liban 2020, ce n’est pas les Libanais, divisés comme ils le sont, qui décideront, pour un nouveau centenaire peut-être, quel Liban Israël, la Syrie, les sunnites et les chiites accepteront de leur donner.

Tant qu’un Patriarche ou toute grande gueule, à condition qu’elle soit libanaise, et peu importe qu’elle soit religieuse, laïque, sunnite, chiite ou druze,  n’existera, dans ces six petites années, c’est bien les autres, et tous les autres qui décideront du Liban 2020, dans lequel nos enfants seront appelés à vivre, et pour, peut-être les 100 prochaines années.

Aujourd’hui, aucun ténor libanais, du calibre recherché, n’existe encore. Nous nous dirigeons tête la première vers le diktat que nous imposera ces multiples autres. Jamais les Libanais n’ont été autant divisés. Cette division n’est ni horizontale ni verticale, elle est sérieuse et profonde. L’ignorer ne fait que l’aggraver, elle nous coûtera notre indépendance, pour peut-être, 100 longues années.

Nous arrivons à un stade où seuls les rêveurs ont droit de rêver. Car toute notre classe politique n’a jamais permis aux Libanais de rêver : sclérosée, vieille, élitiste, clanique, revancharde, isolée, manquant de moyens et surtout réfléchissant ‘micro’ quand la ‘macro’ est de mise, cette classe politique n’a plus droit au chapitre.

Mais à quelle sorte de rêve ces rêveurs, recherchés, mais loin d’être encore trouvés, peuvent-ils bien rêver ?

L’histoire et la géographie doivent guider nos rêves. Déclarer le Liban une île ne relève pas du rêve, mais bien d’un cauchemar. Tordre l’histoire, ne plus oser appeler le Liban comme faisant partie des ‘bilad el Cham’, c’est commettre la même gaffe que des générations de Libanais ont commise.

Lire, de travers, les cartes géographiques en imaginant le Liban qui bloquerait la côte Est de la Méditerranée  sur seulement 220 km, quand les cartes indiquent plus que le double ; que dans l’hinterland, Damas est une capitale ennemie ; et qu’au Sud, rien ne changera ; ce n’est pas du rêve, mais du Sykes-Picot.

Après tant de changements, dans tous ‘les bilad el Cham’ et dans les ‘Rafideyne’ rien ne sera pareil une fois Daech terrassé. C’est dans cette perspective que les rêves sont permis. Daech sera exterminé, il a été créé, financé, pour brouiller les cartes de deux diplomates zélés nuls en histoire et autant en géographie. Daech a tué Sykes et Picot. Probablement, c’était son rôle assigné. Aux rêveurs, surtout arabes, de prendre la suite.

Si j’étais rêveur, et voulant choquer, voilà ce que serait mon rêve : j’imiterai Daech après l’avoir éliminé. Un seul grand pays, seul vrai berceau de l’humanité. Daech a fait rêver, mais uniquement une minorité. Ce n’est pas à Daech de rêver à notre place. Dès que nous l’aurons extirpé aussi bien des esprits que sur les terres qu’ils souillent, à nous, Arabes de rêver.

Rêvons d’une grande nation arabe, la même que Daech a osé imaginer et a commencé à exécuter. La créer c’est résoudre, comme par un coup de baguette magique autant de chaos que les diplomates précités, puis Daech ont créés. Cette nation ne peut-être qu’une fédération de minorités. Israël l’orgueilleuse aura deux cantons, l’un, un pays juif sectaire et toujours isolé, et l’autre la nouvelle Palestine. Pour la Syrie et le Liban, l’invasion des réfugiés syriens quoique humanitaire en apparence, facilitera le problème actuellement insoluble. Renvoyer deux millions de personnes humaines qui iraient vivre parmi des ruines pour 20 ans n’est pas une solution envisageable. Les baptiser tous Libanais, et c’est le Liban qui explosera. Prétendre que 500.000 Palestiniens resteront sans nationalité, et c’est 1975 qui recommencera. Il est de même des chrétiens d’Irak, des yézidis et des Kurdes. Toutes ces ethnies, ces confessions ont droit au rêve que nous voudrions avoir.

Cette grande nation sera forte, le pétrole récemment découvert, pourra être exploité. Les richesses agricoles des ‘rafidienne’ reprendront leur place privilégiée. Cette nation aura autant de capitales que de minorités. Nous ressemblerons à la Suisse, l’Allemagne les États-Unis plutôt qu’à la France, cette championne de la centralisation.

Tant qu’à copier Daech, réalisons ce Nouveau Moyen-Orient qui sera le contraire de ce que les américains veulent nous imposer, car issu d’une volonté des peuples et non d’un néo colonialisme qui n’ose pas dire son nom. Notre rêve serait d’imiter ce que l’Union européenne n’a pas réussi à faire : l’unité de la langue, de l’histoire, de la géographie milite en faveur de cette nouvelle nation dont Istanbul ne sera pas la capital, comme deux siècles auparavant. Il ne s’agit donc pas d’un Marché commun mais bel et bien d’une Allemagne qui a réussit sa réunification. Ce n’est pas aussi le modèle d’une union soviétique au XXIe siècle, qui a abruti ses peuples, ni d’une fédération de Russie qui ressemble à s’y méprendre avec l’union soviétique honnie par les uns, réclamée par d’autres. Evidemment il n’y aura pas de place pour des Poutine, Bachar, Saddam et même Maliki, que chaque canton élise son chef, et que ce dernier défende son canton dans un gouvernement fédéral fort et reconnu.

Quant à l’économie, les masses colossales amassées par les pays producteurs de pétrole trouveront dans cette nation de quoi investir leur argent. Les nombreux projets de reconstruction donneront pour cette génération et les suivantes ce travail qui leur manque actuellement si cruellement. Pouvant librement circuler, s’installer, travailler, prier, et même mourir, les citoyens ne pourront plus être qualifiés de réfugiés. Les diasporas de ces cantons pourraient être tentées de revenir, apportant le savoir-faire qui manquera au début à cette nation rêvée. Cette nation rêvée avec ces 80 millions d’habitants aurait la même influence que  l’Allemagne (80 M d’habitants après sa réunification) au sein de l’Union Européenne. Comme les comparaisons à partir du nombre d’habitants sont généralement trompeuses, je ne signalerai que (l’Iran 70M), la Turquie (76M) et l’Egypte (82 M). C’est donc dans cette moyenne 80M de ces quatre pays cités se trouvera la nouvelle nation.

Avec de tels atouts qui ne sont pas des rêves, cette nation pourrait s’adjoindre aussi bien de petits émirats du Golfe que bien plus tard, l’énorme Egypte, car ces pays eux aussi ont la même histoire, la même culture, la même langue, et pourquoi avoir peur de dire la même religion. La Turquie serait isolée et devrait rechercher de nouveau à s’intégrer dans l’Union européenne, ne pouvant montrer patte blanche à cette nation que naguère elle a colonisé, car la Turquie, n’a ni la langue, ni l’histoire de son coté pour postuler de faire partie de cet ensemble cohérent, jeune, déterminé que serait cette nation. Il en est de même du lointain Iran.

Beyrouth reprendrait son rôle de capitale financière, Damas, centre de gravité de l’ensemble de la nouvelle nation ne pourrait  être que la capitale fédérale. Tartous, capitale des Alaouites, Jounieh celle des chrétiens, Rachaya ou Hasbaya celle des Druzes, aux chiites de choisir entre Bagdad et Baalbek… mais de grâce n’imitons pas les gaffes de Sykes ou Picot. Laissons les referendums décider.

L’armée, comme dans toutes les anciennes civilisations serait commandée par la minorité, entre les différentes minorités, comme au temps des Romains, et des Byzantins, puis hier des ottomans. Le rêve accorderait aux chrétiens et aux alaouites ce commandement. Je peux continuer ce rêve sans jamais verser dans le cauchemar. Je peux parler de capitales culturelles et saurais la situer, de capitale médicale, la scientifique, l’académique…

Et qui ose dire que mon analyse écrite il y a six ou sept mois, dans ce même blog était fausse ? Oui, j’ai écrit ‘Daech ou l’espoir des Arabes’ et voilà la prédiction se réalise.

N.B. Comme pour mon analyse sur Taef, et du même censeur qu’est mon ami, et sans aucune permission de lui, je reproduis intégralement le mail qu’il m’a envoyé, après qu’il a lu mon analyse.

Salut Aemilius

Clemenceau, que tu qualifies de ''général" doit se retourner dans sa tombe, lui qui  est l'auteur de la célèbre phrase "la guerre est une chose trop grave pour être confiée a des militaires"

ceci dit, il a quand même été aussi  l'un des auteurs de cette aberration qu'est Sykes-Picot, une convention bâclée, conclue entre des interlocuteurs qui représentaient tout sauf les peuples dont ils étaient supposés régler le sort, et qui contenait en germe, tous les problèmes qui n'ont eu de cesse de tourmenter la région depuis cent ans

Mais pouvait-on faire mieux à l'époque? Le doute est permis. Il ne faut pas oublier que les deux puissances du moment venaient de triompher miraculeusement à l'issue d'une guerre mondiale qui avait failli les emporter, et qu'elles comptaient bien empocher le prix de cette victoire si chèrement acquise.

Sykes-Picot est la consécration d'un partage de dépouilles entre deux fauves qui croyaient que l'avenir leur appartenait. Tous les vautours du coin et d'ailleurs ont sagement attendu que le temps fasse son oeuvre et que ce traité devienne, comme tous les traites, obsolète et sans impact, pour fondre sur la région et la rediviser 

Nous entrons donc dans une ère de turbulence, et de remise en question radicale du statu quo ante, laquelle, comme par hasard a été confiée au champion toutes catégories de la radicalité : Daech.

Daech est-il contrôlable? Ou va-t-il échapper aux marionnettistes? La réponse se trouve peut-être dans les outrances de Daech, il en fait trop, il se livre à des provocations tellement flagrantes  qu'il joue le jeu de ses ennemis et que le jour proche ou lointain ou il aura achevé sa mission, il aura créé un tel désordre que les décideurs auront toute licence pour enfanter ...un nouveau Sykes Picot

Ceci débouchera-t-il sur la grande nation arabe dont tu rêves? La possibilité existe, mais elle n'est pas probable

Pourquoi?

Parce que les gens de cette région, malgré tous les malheurs et toutes les vicissitudes qui les accablent, et celles plus grandes qui les attendent, ont encore un long chemin à parcourir avant d'accéder au sommet de la montagne, exemple les Libanais

Or une Nation ça se mérite, exemple les Kurdes.

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