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Billet de blog 22 novembre 2021

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Dimanche, entre fin du monde et fin de semaine

Dimanche, écrit et mis en scène par les compagnies Chaliwaté et Focus, un spectacle à ne pas manquer, en ce moment au théâtre Montfort à Paris

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Je suis allée voir Dimanche. La compagnie Chaliwaté et la compagnie Focus se sont réunies autour de l'écriture et la mise en scène de ce conte écologique contemporain aux accents aussi drôles que terrifiants.

Dimanche est une incroyable performance d'acteurs, une maîtrise absolu du geste, une stupéfiante expérience de marionnettistes, tout cela à la fois.

Pas de texte francophone, parfois quelques mots bulgares non sous-titrés, tout simplement pour donner une voix aux trois personnages qui arpentent le monde afin d'en documenter la chute à la télévision. Une journaliste de l'extrême, une perchewoman et un caméraman voyagent à bord d'un minivan. Le tout petit véhicule roule sur les épaules d'un comédien devenu temporairement montagne, puis la magie du théâtre opère et l'automobile change d'échelle. Alors une hilarante scène d'ouverture nous embarque sur les routes enneigées pleines de trous et de bosses. Pas facile de conduire, éclairer l'habitacle, actionner les essuie-glaces, se réchauffer au café thermos et fumer une cigarette à la fenêtre, pourtant la péripétie est rendue possible grâce à une chorégraphie qui en dit long sur la complicité des acteur·ices, donc des personnages.

Dimanche n'est pas pour autant muet, il est tout simplement non bavard et cela fait du bien. Avec de la musique qui donne envie de danser, un travail sonore qui renforce les illusions et des silences profonds, Dimanche nous prend pour des spectaeur·ices intelligent·es. La compagnie Chaliwaté et la compagnie Focus assurent le jeu, nous laissant à nos émotions devant ces mères ourse polaire et flamante rose qui perdent leur petit ou leur propre vie, condamnant l'oisillon resté au nid. La cause de ces décès ? Le réchauffement climatique, toujours lui, qui fait crever de chaud une grand-mère et littéralement s'envoler un couple bien décidé à se taper la cloche pour célébrer on ne sait quoi alors que tout autour d'elleux le climat se dérègle dans un fracas qui couvre même les plus belles voix de l'opéra ! La grande Culture n'aura pas sauvé le monde...

Dimanche se joue des échelles mais pas des urgences. Quand la hanche de Sandrine Heyraud devient une dune, c'est pour nous signifier que nous ne sommes pas grand chose mais quand même suffisamment de grains de sable pour nous la jouer collectif. Quand les mains des comédien·nes deviennent autant de pieuvres nageant élégamment dans les eaux profondes, je ne peux m'empêcher de penser à ces espèces mieux adaptées que nous à ce qui semble se rapprocher à beaucoup trop grands pas. Dimanche ce sont deux décors qui alternent : un intérieur de famille occidentale et des espaces naturels tels que la banquise, le désert ou l'océan. Nous voyageons entre la fin du monde et la fin de la semaine.

Dimanche nous prévient que ça va mal finir. Notre confort englouti sous la montée des eaux, plus rien à pêcher à part nos reliques,

nos outils de mesure du temps,

que l'on aura laissé filer,

sans rien faire à part regarder l'effondrement,

à travers l'œil d'une caméra,

qui elle aussi avait un temps de vie limité,

parce que l'énergie nécessaire pour la faire fonctionner a été ponctionnée sur des ressources essentielles non renouvelables.

Dimanche est une ode à la vie, une sonnette d'alarme, un moment précieux de poésie nécessaire, à voir avant de se remettre au combat politique qui fera plier le capitalisme avant que nos chaises en plastique ne fondent sous nos fesses.

Illustration 1
Affiche du spectacle © Compagnies Chaliwaté et Focus

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