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Billet de blog 11 décembre 2015

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Dimanche, je voterai à droite

Vous ne m'avez pas convaincu mais je vais tenter de le faire. Etudiant à Paris, jeune militant de gauche, je voterai à droite dimanche en Lorraine. Explications.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis Lorrain étudiant à Paris. Dans le cerveau de mes congénères parisiens, deux mondes se font face au-delà de l’Île-de-France : la « campagne » et la « province ». Je viens de ce second monde, qui se distingue de la campagne en n’étant pas desservi en ligne directe depuis la gare Saint-Lazare, pour les longs week-ends du printemps. Pas de mer, peu de montagne, peu de vignobles, beaucoup de plaines, des banlieues métissées à taille humaine, des centres villes modestes, une multitude de villages qui considèrent Toul, Pont-à-Mousson et Verdun comme des métropoles.

En Lorraine, la gauche est défaillante

Dans ce monde inconnu, la frustration de ne pas exister s’est tournée vers l’extrême-droite. Non pas pour le projet ou la liste, un peu par racisme, mais avant tout parce que le Front national se contente d’y venir, d’y coller des affiches et d’y organiser ses meetings. Le FN donne le sentiment d’exister à la province. C’est sans doute sa plus grande force et notre responsabilité à gauche est d’autant plus écrasante. Personne n’est étonné par ce score, il était attendu et ses causes largement débattues. Je ne veux pas rentrer dans le détail de ces causes, ce sont les conséquences qui m’inquiètent : alors que l’extrême-droite est en position de prendre la tête de ma région, le candidat socialiste refuse de se désister. Parmi mes amis militants, ils sont nombreux à le soutenir.

Quand je me suis engagé pour la première fois, c’était par volonté de changer le quotidien des gens. Cet objectif est commun à tous les engagements politiques, quel que soit leur bord. Je suis convaincu que Jean-Pierre Masseret l’a chevillé au corps pendant ses nombreux mandats. Mais je ne m’explique pas, s’il garde ce même objectif, pourquoi il ne fait pas du « barrage au FN » un impératif catégorique.

Je comprends les arguments pour son maintien : il faudrait quelques élus de gauche à la région, même très minoritaires, pour au moins batailler et avoir les informations. Il ne faudrait pas faire croire que la droite et la gauche sont identiques, ce qui alimente le discours du Front national, ce qui « fait son jeu ». Il ne faudrait pas que les militants socialistes se découragent durablement. Il ne faudrait enfin pas laisser croire que M. Masseret est la cause de son échec, qui serait en fait la politique du gouvernement, même si l’intéressé n’a jamais exprimé son désaccord au Sénat. Tous ces arguments pèsent. Mais de l’autre côté de la balance, il y a un argument de poids, un seul : le désistement empêche avec certitude le FN de gagner cette élection. Cette seule perspective balaye pour moi toutes les autres.

La réalité d’une victoire du Front national doit être notre seule boussole

Si faire de la politique c’est se battre pour améliorer le quotidien, empêcher le FN d’arriver au pouvoir est un impératif catégorique. Aucune analyse brillante de militant, d’élu ou d’intellectuel n’efface ma peur de voir la vie de ma famille, de mes amis d’enfance et de ceux qui m’ont élevé pourrie par le projet de ce parti.

Une région FN pour mes cousines de dix-huit ans à peine, c’est la remise en cause du droit à l’avortement confidentiel et gratuit, mais aussi de l’éducation sexuelle préventive et de la contraception gratuites, ensemble d’initiatives que le Planning familial assure partout où l’Etat est défaillant et dont j’ai bénéficié au collège. C’est l’idée qu’être une femme riche et de bonne famille devient le seul moyen d’être une femme libre.

Une région FN pour mes cousins collégiens, c’est la valorisation de l’apprentissage plutôt que le lycée, avec la garantie que leurs moyennes de fin d’année, à quatorze ans, deviennent le principal critère de leur orientation et donc de leur vie professionnelle. C’est la remise en cause de l’ascenseur social qui m’a souvent poussé malgré des moyennes médiocres.

Une région FN pour mon ancienne association de théâtre, c’est la fin des financements et donc de la diffusion de la culture dans tous les milieux, qui m’avait permis d’aimer le patrimoine culturel de notre pays, d’apprécier Molière, Jean-Michel Ribes ou les musicals américains plutôt que de me contenter de Michael Youn.

Une région FN pour la ZEP où j’ai appris à lire, écrire et compter, c’est la fin des réseaux de transports coûteux qui désenclavaient mes amis de leurs barres d’immeubles pour passer des après-midi en centre-ville.

Une région FN pour un territoire régi pour un tiers par le Concordat, c’est le mensonge de « l’identité chrétienne », qui fait passer le culte de mes grands-parents pour un fondement « humaniste et social » de notre identité régionale. Une imposture historique qui oublie que si l’Eglise catholique diffuse parfois ces valeurs, c’est uniquement parce que la République l’a mise au pas. Simplement pour faire passer le culte de mes amis musulmans ou fils de musulmans pour des intrus, agresseurs par nature.

La liste n’est pas exhaustive, ces craintes me viennent simplement d’elles-mêmes chaque fois qu’on m’explique que Jean-Pierre Masseret doit se maintenir. Mais maintenir quoi ? Un groupe socialiste de cinq sièges ? Des forces militantes déjà réduites à peau de chagrin, par désenchantement et colère envers le Gouvernement ? Un simple esprit combatif spartiate, qui ne lâche rien au risque de tout perdre ? A l’épreuve de cette réalité réactionnaire, ces arguments tiennent-ils toujours ?

Droite, extrême-droite, quelle différence ?

J’entends enfin qu’une région dirigée par la droite serait presque équivalente à une région d’extrême-droite. Faut-il que notre cerveau soit si retourné pour qu’on perde le bon sens ? La droite française est redoutable. Je la considère responsable de la banalisation du discours pauvre, réactionnaire et mensonger du Front national. Mais peut-on être honnêtement convaincu qu’ils sont « bonnet blanc et blanc bonnet » ? La base militante de la droite, avec ses benêts du XVIème et ses cadres de PME, est-elle équivalente aux fous furieux du GUD et de l’Action française ?  Les listes de la droite, publiques et ouvertes aux petites formations centristes, vous semblent équivalentes aux listes du FN, dont aucune n’a été dévoilée complètement en dehors des bureaux de vote ? Les politiques publiques mises en place à Nice, Bordeaux et Marseille vous semblent équivalentes à celles d’Hayange, Béziers ou Orange ? Certains diront que ce n’est qu’une question de degré. Je m’en accommode.

Lundi viendra le temps des analyses. Militant de gauche, je ferai tout pour forcer mon camp à l’introspection et l’unité, pour recruter des militants malgré le contexte, pour convaincre de l’engagement collectif. D’ici là, entre « faire le jeu du Front national » ou le faire gagner, mon choix est fait. Dimanche, je voterai à droite.

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