J’ai longuement hésité à écrire ce texte. J’ai commencé puis effacé puis recommencé. Comment dire quelque chose qui n’a pas été dit 1000 fois et comment expliquer par un texte ce qu’on ne comprend vraiment qu’en le voyant de ses yeux.
Je reviens de Palestine et d’Israël dans le cadre d’un voyage d’étude que j’ai organisé avec une vingtaine de personnes dont beaucoup de militants de gauches de toute la gauche, du NPA au Parti Socialiste en collaboration avec Denis Sieffert et le journal Politis.
Je savais en partant que je ne reviendrais pas pareil, avec les mêmes idées et la même vision du conflit. Ca n’a pas loupé.
Une société Israélienne profondément et durablement divisée
C’est sans doute ce qui m’a le plus marqué. Quelque chose qu’on comprend bien en regardant le récent documentaire « the Gatekeepers » qui fait témoigner 7 des derniers directeurs du Sin Beth (les services de renseignement intérieurs israéliens). Il y a dans la société israélienne une minorité ultra radicale et ultra motivée qui entraine ce pays et cette région vers l’abime. Elle est parfois combattue mais lorsqu’elle l’est celui qui la combat se fait assassiner comme Rabin après Oslo.
Face à cette minorité agissante la principale attitude reste l’indifférence. Les habitants de la côte (Tel Aviv, Haïfa, …) ne s’occupent guère ni du conflit, ni des colons ni de l’avenir commun avec les Palestiniens, ils sont soit résignés soit regardent davantage vers l’Europe ou les Etats Unis que vers Jérusalem. Face à cette majorité indifférente, une minorité agissante, celle que Michel Warschawsi appelle « la petite roue » qui est censée entrainer la grande qui n’existe plus continue d’exister. Nous pourrions la qualifier de « gauche de la gauche » dans une référence bien française. Elle regroupe aussi bien des ONG, des individus, des partis politiques d’extrême gauche, certains jeunes … Eux n’ont pas renoncé, ils sont dans une attitude de rejet de la colonisation et de l’occupation et se battent réellement et dans des conditions difficiles. Ils sont peu nombreux ce qui mérite d’autant plus de rendre hommage à leurs courage. Ils s’appellent Michel Warschawski, Shlomo Sand, Hadash, …
Il y a un profond gouffre entre la partie nationaliste-religieuse et la partie laïque de la société ou les laïcs semblent de plus en plus en recul et les religieux de plus en plus agressifs et conquérants.
Une société palestinienne en déliquescence
Levi Strauss analysait ce qui reste d’indiens d’Amérique en Amérique du Sud comme des étoiles éteintes qui continuent de briller. Comme des sociétés réminiscences et en même temps dans le coma. Si la société palestinienne n’est pas encore dans cette situation, il est frappant de voir qu’à la fois la cause palestinienne n’est plus aussi vivante chez les palestiniens eux-mêmes, que la société palestinienne ne sait pas vraiment ou elle va et qu’il y a un profond rejet chez les palestiniens de leurs représentants élus.
Parmi les palestiniens que nous avons rencontrés très peu nous ont dit qu’ils faisaient confiance à l’OLP ou à l’autorité palestinienne ni même au Hamas pour les sortir de cette situation. Ils en veulent à leurs dirigeants de n’avoir pas eu de « plan B » en cas d’échec d’Oslo et se retrouvent aujourd’hui avec des personnes qui ne les « dirigent » pas mais qui les administrent aussi bien l’autorité palestinienne que l’occupant israélien.
Une situation qui se dégrade chaque jour sur le terrain
Si je n’avais pas vu la colonisation de mes yeux j’aurais sans doute été davantage choqué par ce qu’on a appelé la semaine dernière « les bus de l’apartheid » à savoir la séparation dans les bus entre voyageurs israéliens et palestiniens. Mais c’est bien vers ça que tendent à la fois les territoires occupés de Cisjordanie qu’Israël même. L’idée qu’on ne peut pas vivre avec les palestiniens défendue par la droite israélienne se met en pratique chaque jour. Israël construit en Cisjordanie des hôpitaux pour colons, des routes pour colons, des villes pour colons alors pourquoi pas des bus pour colons. Les gens qui sont choqués de la comparaison entre la situation dans les territoires et l’Afrique du Sud ne devraient pas l’être car l’ayant vu, elle est assez proche. Si ce n’est qu’Israël va plus loin dans la ségrégation et dans la séparation puisqu’elle essaye de ne pas être dépendante de la main d'oeuvre plaestinienne. On voit se construire sur un même territoire, 2 sociétés superposées, l’une vivant sous la domination de l’autre. L’une ayant accès à toutes les ressources (l’eau est un des principaux problèmes), aux autoroutes à 2 fois 3 voies, aux dernières technologies médicales, aux meilleures terres, … l’autre étant de plus en plus confinée dans des townships que sont devenus Naplouse, Hébron ou Bethléhem. Ces deux sociétés sont séparées par des murs de 20m de haut, des routes sans sorties vers les villages palestiniens, une ségrégation quotidienne et les checks point de l’armée israélienne.
Un représentant de l’association Breaking the Silence (ex-soldats ayant servis dans les territoires occupés qui témoignent de la vie quotidienne d'un soldat sous l'occupation) nous le disait bien. L’armée israélienne n’est pas plus cruelle que n’importe quelle armée d’occupation. Elle n’oppresse pas plus mais elle n’oppresse pas moins. L’occupation est par nature violente, transformatrice d’une société performatrice d’une situation politique. La société israélienne dérive de plus en plus vers une situation catastrophique, traumatisante pour les palestiniens insupportable à terme moralement par les israéliens eux-mêmes.
Aucune solution à l’horizon
Je ne sais pas vraiment ou va la situation en Israël et en Palestine, probablement que la situation va continuer à se dégrader. Il y a aujourd’hui dans les territoires palestiniens plus de 400 000 colons, Jérusalem est presque coupée du reste de la Cisjordanie et la droite et l’extrême droite vont continuer à diriger le pays. L’autorité palestinienne est elle aussi en sursis malgré une petite victoire diplomatique à l’ONU. De plus en plus de voix se lèvent pour demander étant donné la situation inextricable de la colonisation un seul état Israélo-palestinien qui ne semble pas plus réaliste que 2 états et qui serait évidement inacceptable pour la majorité des israéliens attachés à la nature « juive » de leur Etat.
La seule chose qui soit sure c’est que si une solution doit être trouvée elle ne viendra pas de l’intérieur d’Israël. Les forces de progrès au niveau mondial doivent s’unir pour augmenter encore et isoler davantage le gouvernement israélien pour le forcer à reculer face à sa politique raciste et colonialiste. De la même manière qu’en Afrique du Sud seul le boycott international a été efficace, je suis convaincu que seul le boycott international fera reculer le gouvernement et surtout fera comprendre aux israéliens qui s’en désintéressent que leurs intérêts à eux passe par la paix.