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Billet de blog 30 mars 2020

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Le Nichoir - chroniques imaginaires d'une confinée - Jour 4 & 5

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Illustration 1
Illustration 2

Tellement difficile de me lever.

Hier j’ai déplacé mon matelas jusqu’au nid, dans le salon. Nettement plus confortable. J’ai tendu un drap entre deux étagères, au-dessus, pour créer un autre espace, plus contenant. Je m’y suis endormie, et ce matin impossible d’en sortir.

Je n’aime pas ces jours-là, où se mettre en mouvement est une épreuve. Pourtant, peu de choses m’attendent, je n’ai aucun rendez-vous, je ne vais rien rater du monde extérieur car celui-ci est en suspension, tout comme ma vie à l’intérieur de cet appartement. Le temps passe mais rien ne bouge. Et je me sens aspirée par l’inertie du monde, tout me semble absurde, la vie ne m’a jamais parue aussi futile que pendant ces heures recluses, loin du mouvement, qui est l’essence même de la vie.

Je me suis forcée, forcée à sortir du nid, forcée à sortir de chez moi. Je le déplore mais il fallait que je sorte, que je m’aère l’esprit, que je sente mon corps en mouvement, le vent sur ma peau, l’odeur des rues désertées, le silence factice de la ville suspendue. J’ai entendu mes pas, comme pour la première fois à ces heures de la journée, résonner contre les murs et me revenir en écho.

J’ai ressenti l’envie, l’envahissante envie, d’entrer dans un magasin, de voir du monde brasser, de parler à la caissière. Je ne l’ai pas fait, et ça m’a paru responsable.

A la place j’ai appelé ma mère. Là-bas les nouvelles sont bonnes. Je lui ai dit que je dormais bien. Elle me conseille de me supplémenter, s’interroge sur la manière dont je me nourris. Je lui réponds à moitié, ses questions m’agacent. Je raccroche. Je suis agacée. Je m’accorde quelques minutes de plus à l’extérieur.

Je rentre, agacée toujours, j’attrape un carnet, mue par l’envie de consigner cet état. Je fume. Deux cigarettes coup sur coup. J’ai mal aux yeux, je n’ai envie de rien.

Je fini par lancer un film, que je ne regarde que d’un œil. Affalée dans le nid, je tourne sur moi-même avant de mettre la main sur un pic qui m’extirpe une grimace. C’est le bec du hibou, dissimulé entre les couvertures. Je suis de nouveau agacée. Je jette la peluche a travers la pièce et je râle. Cigarette, encore.

Les voix des personnages du film m’exaspèrent, je n’écoute même pas ce qu’ils racontent. Finalement j’éteins avant la même la moitié du film. Je me lève, fais le tour de ma bibliothèque.

Je relis le Horla.

Illustration 3

Je me suis éveillée en pleine nuit, haletante, avec le sentiment désagréable de ne pas être en sécurité. J'ai mis ça sur le compte de mes lectures et me suis levée pour boire un verre d'eau. Il devait être 4h du matin. Le hibou était par-terre sur le carrelage de la cuisine. Je l'ai ramassé et suis retournée me coucher.

"Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres."

"La solitude est dangereuse pour les intelligences qui travaillent. Il nous faut, autour de nous, des hommes, des femmes, qui pensent et qui parlent. Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantômes."

Le Horla - Maupassant

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