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Mes sœurs se lamentent au téléphone. L'appartement familial est en pleine guerre froide. Nous étions prévenues.
« Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les autres. »
Moi aussi j'aimerais avoir le loisir de me disputer pour savoir qui fera la vaisselle...
Un peu partout, dans les hôpitaux, on commence à faire du tri. J'imagine. Ces hommes, ces femmes, ces parents, ces enfants, communiants, sceptiques, moraux, sensibles, avec, dans les mains, le devoir, la douleur responsabilité de choisir lesquels vont traverser.
Du monde des vivants à celui des morts.
C'est d'une violence que je n'aurais pas soupçonnée. L'idée même d'avoir à prendre cette décision me noue la gorge.
Je m'allume une cigarette.
Je me force à lire, à m'occuper l'esprit, à déconnecter. De toutes façons je ne comprends plus rien à ce qu'il se passe.
Je suis allée courir. Mon plaisir est indescriptible. C'est comme si je m'étais secouée et qu'était tombé de moi tout le poids des jours. Je me sens légère. Je sens mon corps qui se réactive, qui vibre à l'impact de mes pas sur le bitume.
On ne me contrôle pas.
Je croise quelques personnes. J'échange un sourire, un mot, sur l'application que nous mettons désormais à nous éviter. Je me demande si, quand la ville reprendra son rythme, les gens marcheront toujours aussi près les uns des autres dans les métros.
En rentrant je me lave, j'aère et je me mets à ranger. En musique bien sûr.
Je cuisine, je danse, je vis.
A 20h, les immeubles s'animent, les gens sourient aux fenêtres et applaudissent à tout rompre. Certains font chanter les casseroles à grands coups de louches, d'autres ont sorti les tambourins de fortune. La clameur résonne sur les murs des bâtiments, son écho l'amplifie.
J'échange un sourire appuyé avec le voisin du bâtiment d'en face. J'ignore combien de mètres nous séparent, une dizaine au moins, j'imagine. Son appartement est plus bas que le mien si bien que j'en devine l'intérieur dans la pénombre.
Il est seul à la fenêtre lui aussi.
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Je soliloque dans mon appartement, de grandes phrases que j'étire à travers la pièce.
De grandes phrases chargées d'émotions, qui passent du tout au rien, se permettent tous les éclats et tous les tons. Autant de pensées qui bouillonnent, de mots qui se heurtent au bord de mes lèvres, empressés de les franchir.
Le hibou trône, en auditeur sanctifié. Ses yeux de plastique donnent l'impression qu'il me suit du regard tandis que je trépigne d'un bout à l'autre de l'appartement. Je ne peux m'empêcher de lui trouver un air étrange.
J'ai passé la matinée à agrandir le nid. Avec un fil épais, j'ai tendu tous mes draps à travers la pièce. Mon appartement est devenu une énorme cabane. Le soleil y entre sans encombre, là où un autre plus grand que moi aurait eu besoin de se baisser. Les dimensions sont parfaites. Les draps déployés à travers la pièce ne gênent en rien mes déambulations frénétiques.
J'ouvre les fenêtres et un vent frais se faufile dans l'appartement, faisant onduler légèrement les voiles de mon embarcation immobile. Il y a de la musique. Je m'allume une cigarette. Et la lumière décline en jouant dans les volutes.
Sous les draps bariolés, au milieu des lueurs, le soir a des airs de bohème...
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