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Tribune 14 mai 2025

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Porter l’exception culturelle en Europe, c’est se battre pour notre puissance

Le dynamisme du cinéma français n’est pas un miracle, mais le fruit d’une vision politique audacieuse. Aujourd’hui, ce modèle européen est violemment attaqué et le monde du cinéma et de l’audiovisuel est en première ligne d’une véritable guerre culturelle. Préserver notre culture européenne, garantir la liberté de nos imaginaires, c’est donc résister face aux modèles autoritaires et révisionnistes.

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Alors que le Festival de Cannes déroule son tapis rouge, comment ne pas se réjouir de la remarquable vitalité du cinéma français et européen ? L’Amour Ouf, Emilia Perez, Flow, Le Comte de Monte-Cristo ou encore Un Petit Truc en Plus… autant d’œuvres qui rayonnent au-delà de nos frontières, touchent un public toujours plus large et nous rendent fiers d’être Français, fiers d’être Européens.

Ce dynamisme n’est pas un miracle, mais le fruit d’une vision politique audacieuse. Celle de l’exception culturelle européenne, qui, sous l’impulsion de Jacques Delors et Jack Lang dans les années 1980 et 1990, protège la diversité des récits et défend l’idée que la culture n’est pas une marchandise comme une autre. Concrètement, c’est le choix d’exclure les biens audiovisuels des accords commerciaux, mais aussi d’assumer la mise en place de mécanismes de protection pour la création et des politiques culturelles nationales.

Aujourd’hui, ce modèle européen est violemment attaqué et le monde du cinéma et de l’audiovisuel est en première ligne d’une véritable guerre culturelle. Les réactionnaires, de tout poil, sont de sortie. Ils veulent abattre une diversité culturelle synonyme de démocratie et d’ouverture au monde. En France, c’est Laurent Wauquiez ou Renaud Muselier qui taillent dans des subventions destinées à l’industrie du cinéma. C’est aussi Vincent Bolloré qui finance des films réactionnaires.

Outre-Atlantique, l’alliance entre néolibéraux et réactionnaires déploie sa stratégie avec une redoutable efficacité. L’Amérique, déjà omniprésente sur les écrans européens, exige davantage et traite notre continent comme un simple satellite culturel. À la manœuvre, l’administration Trump, avec ses déclarations fracassantes et ses attaques officielles, comme cette idée absurde de taxer les films tournés à l’étranger. En coulisse, l’industrie du cinéma prend le relais, attaque la chronologie des médias française et multiplie les recours contre les États qui défendent une exception culturelle. En Belgique mais aussi en Allemagne, les offensives se succèdent. L’objectif est clair : imposer une hégémonie culturelle et étouffer la diversité culturelle, synonyme de pluralisme.

Car défendre le cinéma européen, ce n’est pas seulement mener un combat pour la culture : c’est protéger une certaine idée de la société, celle d’un espace où coexistent des récits et des imaginaires pluralistes. Plus que jamais, l’Europe ne peut céder à cette offensive, pas plus qu’elle ne doit retomber dans les ornières de ses réflexes néolibéraux. Tandis que la Commission s’enferme dans un silence pesant face aux attaques répétées, elle doit se souvenir que, c’est sous l’impulsion du président de la Commission Jacques Delors que l’Europe a assumé son ambition d’être une véritable puissance culturelle. Nous ne voulons pas revivre les dérives de l’ère Barroso, lorsque la Commission tenta d’inclure le cinéma et l’audiovisuel dans un accord de libre-échange avec lesÉtats-Unis. Aujourd’hui, la directive sur les Services de Médias Audiovisuels (SMA), socle de l’exception culturelle, qui impose des obligations d’investissement dans la production européenne indépendante et des quotas de diffusion d'œuvres européennes, doit être défendue avec une détermination sans faille.

Nous le savons, la culture a un rôle essentiel dans la composition de nos imaginaires communs. Il nous faut assumer de refuser l’uniformisation de nos imaginaires. Alors que la culture a longtemps été un impensé du projet européen, il faut aujourd’hui construire cette “Europe de la culture” que Josiane Balasko appelait de ses vœux lors de la dernière cérémonie des Césars. Et bien plus qu’un slogan, notre Europe de la culture doit être concrète : renforcement de la directive SMA préservation de l’exclusivité territoriale, conditionnalité des aides européennes au respect de la liberté de création et d’expression des artistes, augmentation des financements publics, protection accrue du droit d’auteur aujourd’hui fragilisé par les modèles d’intelligence artificielle générative qui, sous couvert d’innovation, pillent le travail des créateurs et imposent une uniformisation artistique inquiétante. A l’heure du scepticisme et du repli sur soi, l’avènement d’une Europe de la culture est l’un des meilleurs leviers capables de raviver une adhésion sincère au projet européen.

Mais cette Europe de la culture ne saurait s’affirmer sans s’interroger sur l’accessibilité même de cette culture. Alors que les usages se transforment, notamment chez les plus jeunes, l’éducation à l’image doit devenir un pilier central des politiques publiques culturelles nationales et européennes. Il est urgent de permettre une culture accessible à tous et partout. Il ne peut y avoir de politiques culturelles ambitieuses si celles-ci ne s’adressent qu’aux cadres supérieurs des métropoles et aux plus favorisés.

A l’heure du retour de la guerre en Europe, la culture n’est pas un simple décorum : elle est un enjeu stratégique et fait partie intégrante de la sécurité européenne. Souvenons-nous que l’invasion russe en Ukraine n’est pas simplement synonyme de violation de la souveraineté territoriale, elle implique une stratégie méthodique de nettoyage culturel. Préserver notre culture européenne, garantir la liberté de nos imaginaires, c’est donc résister face à Poutine et à tous les modèles autoritaires et révisionnistes. Il est temps de sortir de notre naïveté, de devenir enfin adulte et de faire vivre notre civilisation européenne, ouverte sur le monde, qui comme le rappelait Paul Valéry, est fragile et mortelle.