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Billet de blog 12 mars 2021

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L’émergence silencieuse de pathologies associées à l’isolement et aux interdictions

Les confinements, les mesures barrières et la fermeture des frontières ont permis de freiner la propagation en 2020 du Covid-19, même si cela a abouti à vivre dans un monde inconnu et parfois effrayant, changeant radicalement nos liens sociaux. Allons-nous, comme l’imaginait Platon dans son allégorie de la caverne réussir à sortir de ce monde pour affronter la réalité qui nous attend ?

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Covid-19 : l’émergence silencieuse de pathologies associées à l’isolement et aux interdictions

Les confinements, les mesures barrières et la fermeture des frontières ont permis de freiner en France, comme dans le Monde, la propagation en 2020 de ce redoutable virus, même si cela a abouti à vivre dans un monde inconnu et parfois effrayant, changeant radicalement nos liens sociaux depuis près d’un an.

Alors qu’une première lueur d’espoir apparait dans certains pays grâce à une progression efficace de la vaccination de leur population et des professionnels de santé quel que soit l’âge, laissant entrevoir une forme de normalité de vie sociale dans les mois à venir, la France est engagée, contrairement à certains des pays voisins (Espagne et Italie), dans une nouvelle escalade de mesures de restrictions sociales pour lutter contre la propagation des variants du COVID-19. L’inauguration des confinements partiels et territoriaux mis en place lorsque les autorités locales y sont favorables nous rappelle que nous serons probablement encore loin d’une vie quotidienne normale au printemps 2021 et que l’été ne ressemblera certainement pas encore à celui de 2019 sans masque.  

Malgré l’avancement du couvre-feu mi-janvier de 20h à 18h visant à limiter les interactions sociales, il n’y a pas eu de recul significatif de la propagation du virus ni de réduction de la tension hospitalière en particulier en lits de réanimation dont le ratio en période COVID-19 par habitants est d’ailleurs très hétérogène d’un département à l’autre. Il y a deux fois plus de lits de réanimation pour 10 000 habitants dans les Bouches du Rhône par rapport aux Alpes-Maritimes. Les autorités sanitaires justifient ces mesures principalement à partir du taux d’incidence sans mettre en parallèle le nombre d’admission de patients COVID-19 en réanimation et en hospitalisation conventionnelle qui reste stable voire diminue pour les populations fragiles (personnes âgées désormais en grande partie vaccinées). Elles ont abandonné depuis le premier confinement l'indicateur fondamental, la mortalité.

Puisque les résultats semblent inférieurs aux objectifs attendus, alors il ne faut pas relâcher la pression auprès des citoyens, même si la transgression des mesures précédentes est devenue courante. Ces mesures restrictives successives qui ont eu dit-on un impact insuffisant sur la circulation du virus, auront par contre durablement mis à mal la santé des populations confinées en général, celle des patients également stressés par le risque de contamination et la difficulté d’accès à la vaccination, et enfin paradoxalement celle des soignants eux-mêmes que l’on souhaite pourtant protéger.

Les deux confinements et plus généralement la vie dans laquelle les français sont plongés depuis le début de la pandémie à SARS coV-2 ont porté un coup dur au moral de chacun, même si les français ont démontré des capacités d’adaptation remarquable depuis le printemps dernier. Déjà limité avant la pandémie, l’accès à des soins de santé mentale de bonne qualité et financièrement abordables, a encore été réduit par la crise sanitaire, en partie à cause des restrictions sociales. Pourtant, un des objectifs de l’Organisation Mondiale de la Santé pour 2019-2023 dont la France est signataire est « de faire en sorte qu’un milliard de personnes supplémentaires bénéficient d’un meilleur état de santé et d’un plus grand bien-être ». C’était avant la pandémie à coronavirus bien entendu.

Depuis le 23 mars 2020, Santé publique France a lancé avec BVA une enquête (CoviPrev)  afin de suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale des français. Les répercussions de l’infection elle-même et des actions de lutte contre le coronavirus sur la santé mentale et les comportements de santé (consommations de substances psychoactives, nutrition, activité physique) sont inquiétantes et ne devraient pas être autant négligées surtout chez les personnes en situation de précarité pleinement impactées par les mesures suspensives successives de restriction de vie sociale.

En effet, 77,6% des français se déclarent satisfaits de leur vie à mi-février 2021, bien inférieure à celle observée hors période d’épidémie (84,5%, janvier-juillet 2017). Les états anxieux, très élevés au début du premier confinement (26,7% ; 23-25 mars 2021), avaient connu une diminution importante mi-avril 2020 (18,1%). Les états anxieux se maintiennent à un niveau élevé (22,7%) par rapport à la période d’étude hors COVID-19 (13,5%). La prévalence des états dépressifs a doublé entre mi-septembre 2020 (10,9%) et début novembre 2020 (20,6%) et se maintient à un niveau élevé (22,7% à mi-février 2021 vs. 10% hors période COVID-19).

Les personnes déclarant une situation financière très difficile ainsi que celles sans activité professionnelle, les 18-24 ans, les étudiants et les personnes vivant dans un logement surpeuplé ont une santé mentale qui s’est fortement dégradée depuis le début de la pandémie. Cette catégorie de citoyens subit encore une double peine : l’impact financier de la crise épidémique et les effets psychologiques des différentes mesures de restriction des interactions sociales. Les étudiants les plus isolés, les plus coupés de leurs proches affectifs, dans les endroits les plus petits et les moins confortables sont quant à eux à risque de tentative de suicide, et malheureusement des décès par suicide ont déjà été remarqués.

Après le 1er confinement, il aurait été observé  une augmentation importante des signalements pour violences conjugales auprès des services de police (plus 30 %). Le nombre d’appels au 119 pour les enfants victimes de violences a lui aussi augmenté de 20 % avec une augmentation des appels urgents de 60 % comparativement à mars 2019.

Les soignants ne sont pas épargnés par les conséquences des confinements qui visent à réduire la tension hospitalière et la pression sur les conditions de travail du personnel en première ligne déjà fortement éprouvé par les tensions existantes dans les hôpitaux depuis de nombreuses années. Rappelons-nous en 2019 les périodes de grève du personnel soignant hospitalier pour augmenter les moyens humains et financiers alloués à l’Hôpital.

Tous les professionnels de santé, tels que ceux directement impliqués dans les soins des patients atteints de COVID-19 mais aussi ceux qui doivent par exemple prendre en charge les patients atteints d’un cancer ont été confrontés à de multiples sources de stress : manque d’équipements de protection individuelle, information incomplète et contradictoire concernant la propagation et la stratégie de lutte contre le coronavirus, risque de contamination personnelle et de transmission familiale, charge de travail exacerbée et prolongée liée à un absentéisme important pour infection du personnel soignant sur fond de sous-effectif chronique, adaptation des prises en charge par nécessité (pénurie de produits d’anesthésie utilisés pour les fins de vie)...

Aujourd’hui, les nouvelles mesures restrictives le week-end, moment important de liberté et de réconfort, risquent d’accentuer la perte de repères professionnels, sociaux et familiaux, facteurs de détresse et de démotivation supplémentaire pour cette catégorie professionnelle qui a fourni des efforts considérables afin de maintenir des soins de qualité en toute sécurité.

A l’heure où nous subissons de nouvelles restrictions, notre monde se restreint à nouveau, nous communiquons toujours plus par écrans interposés et sommes sans cesse bombardés de chiffres, de graphes et de modélisations, sans réellement savoir si pour certaines elles sont le reflet de la réalité ou si elles cherchent à manipuler.

Comment cette jeune génération composée de soignants qui se dit sacrifiée pour une génération qui avait le même âge à la fin des années 60, et pourtant préservée lors de la pandémie de Hong-Kong, va se remettre psychologiquement de ce monde de restrictions sociales imposées par un virus qui n’a ni conscience et qui ne (re)connait pas les frontières ? Le travail, les relations humaines, l’amitié seront-ils surtout virtuels ? Allons-nous, comme l’imaginait Platon dans son allégorie de la caverne réussir à sortir de ce monde pour affronter la réalité qui nous attend ?

Centre de Lutte Contre Le Cancer Antoine Lacassagne (Fédération UNICANCER)

Pr Emmanuel Barranger, Directeur Général et chirurgien oncologue.

Dr Eric François, Président de la Commission Médicale d’Etablissement et oncologue médical.

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