Le député Le Fur, mon député, gagne à ne pas être connu. Au début de sa carrière en 2003 ou 2004, je lui avais adressé un courrier, pour le remercier de m'avoir envoyé une lettre de quatre pages sur papier glacé à en-tête de l'Assemblée Nationale dans une enveloppe de l'Assemblée Nationale, où il ne parlait que de quelques problèmes étroitement locaux et qu'il signait « votre... Conseiller Général ». Faut l'excuser, il est aussi conseiller général, mais surtout affecté d'une profonde dyslexie. Ce que je trouve le plus curieux c'est qu'il ne m'ait jamais répondu, elle était pourtant gentille, affectueuse, ma petite lettre, ce pouvait être le début d'une relation fructueuse, qui fut stoppée avant même d'avoir commencé ! Encore plus curieusement, il n'a plus écrit à personne, pourtant nombreux sont ceux qui attendent en vain des nouvelles de leur canton, en direct de l'Assemblée Nationale !
Voici la lettre au député :
Mon cher député,
Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n'aurais imaginé que tu puisses être si près de moi. Que tu sois en mesure de te préoccuper du CD 40 dépasse mon imagination.
Il n'y a pas de mots assez forts pour qualifier mon émotion, je sens comme un souffle gaullien traverser à nouveau notre pays et le CD 40. Mon papa m'en avait parlé, pas toujours en bien, je ne sais trop pourquoi, peut-être était-ce au soir d'une assemblée générale du Crédit Agricole !
Mais à te lire, je me souviens de ces antiques images télévisées, où l'on voit le vieux général se moquer de ceux qui voulaient brusquer les choses dans la construction européenne, en les comparant à des cabris sautillant à qui mieux mieux, répétant sans cesse : « l'Europe, l'Europe, l'Europe ». Je t'imagine te moquant gentiment de tous ces inconscients qui sautillent en criant : « les retraites, les retraites » ou « le chômage, le chômage » ou encore « la sécurité publique, la sécurité publique », mais aussi « non à la mondialisation libérale, non à la mondialisation libérale » et encore « l'école, l'école », sans parler de « la santé, la santé », que sais-je encore, j'en ai le tournis, il était temps que quelqu'un siffle la fin de la récréation, heureusement que Baudet était là, oh pardon, monsieur Raffarin, comme ils sont de la même région, je confonds tout le temps.
Alors que le CD 40, dans ce galimatias, prend tout de suite l'allure d'un phare guidant l'humanité vers des rivages enchantés. Je peux te l'avouer, depuis le regretté Arthur C. élu dans la magnifique vague bleue de 1968, je désespérais de retrouver un député de la même trempe.
On m'a dit que tu étais copain avec notre merveilleux président de la République. Aussi, puis-je me permettre de te demander une faveur ?
C'est oui ! Merci mille fois. Tout d'abord, salue-le de ma part, bien respectueusement, ensuite parle-lui de notre passion commune pour les vieux billets en francs, oui, ceux de cinq cents ! Je sais par des amis communs, mais eux maintenant ils sont brouillés, qu'il devrait lui en rester pas mal en doubles. Comme je les collectionne également... , entre nous je peux bien te l'avouer, j'en commence tout juste la collection !
Aussi, s'il pouvait avoir l'extrême gentillesse de t'en confier quelques uns à mon intention, je lui en serais éperdument reconnaissant. Une valise pleine ? Oh non ! Je ne voudrais pas le dépouiller un tant soit peu, c'est bon pour les pauvres, ils sont tellement nombreux, qu'un de plus ou de moins dans le dénuement, c'est sans importance !
J'ai tout de même relevé une petite erreur, certes sans gravité dans une aussi longue lettre si passionnante, mais qui m'interroge quelque part. C'est sans doute ta secrétaire qui a oublié l'article « du », dans Conseiller du Général au-dessus de ta si élégante bien que discrète signature. Toutes les mêmes ces secrétaires, ça papote, ça papote et ça oublie de taper un mot. Elles mériteraient... !
Mais ma fille, qui, oh la petite effrontée, regarde par-dessus mon épaule, me signale qu'aujourd'hui tout se fait par ordinateur, alors c'est sans doute lui qui s'est trompé ! C'est quand même bien le moderne, on a de petites machines qui remplace les vilaines secrétaires, qui en plus de coûter très cher n'étaient pas attentives à leur travail, toujours à bavarder, à se faire les ongles, à boire du café. L'ordinateur lui ne s'arrête jamais, ne mange pas, juste un tout petit peu d'électricité, mais pour montrer qu'il a un côté humain, de temps à autre il fait une petite faute.
Ma fille me dit un peu vertement, que je suis à côté de la plaque, que je n'ai rien compris, parce que le général est paraît-il mort en 1970 ! Et on ne m'avait rien dit auparavant !
Mais elle continue la vilaine, entre nous tu as bien raison d'être très sévère avec les jeunes, sinon ils ne comprendront jamais quel magnifique paradis vous êtes en train de leur construire sur la Terre, toi et tes petits camarades. Elle me souffle que tu dois être chisofrêne, je n'ose pas prendre le dictionnaire pour savoir ce que cela signifie, elle en profiterait pour se moquer. Mais je suis plus malin qu'elle ne le croit, j'ai bien compris ton problème, car il y a quelques années j'avais des frênes, ils ont tous attrapé la maladie, maintenant ils sont crevés !
J'espère que pour toi c'est moins grave. Cela me chagrinerait beaucoup, que tu sois réduit à un état semblable : sec, cassant, la cime dégarnie, plus rien ne coule dans leurs veines, leur cœur est tout ratatiné, comme s'ils n'en avaient plus, pourtant leurs branches s'agitent toujours au vent, mais sans le souffle de vie bruissant que leur donnaient les feuilles, on sent la mort rien qu'à les regarder, autrefois majestueux, ils paraissent si petits, des géants devenus des nains.
Je m'en veux, je ne voulais pas te faire de peine, j'aime quand tous les hommes sont heureux, je suis sûr que c'est pareil pour toi. Aussi, je souhaite ardemment que le mal diagnostiqué par ma petite fille n'est que passager, surtout pas une de ces tares irréductibles, dont l'issue ne peut être que fatale à plus ou moins brève échéance.
Oh, j'allais oublier, puisque Jacques Chirac est ton copain, tu dois bien connaître aussi sa charmante épouse, Bernadette, une vraie sainte. Tu lui diras tout le bien que je pense d'elle et de son opération « pièces jaunes », avec son ami David Douillet, oh, qu'est ce qu'il me fait rire ce grand couillon ! Dès qu'il ouvre la bouche, je ne peux plus me retenir, c'est plus fort que moi, il est vraiment le normand le plus drôle depuis Bourvil, je comprends que certains lui donnent jusque quarante mille euros pour paraître dans une soirée, ils doivent bien se marrer, célébrité, ça c'est une profession ! Je disais donc, qu'ils avaient raison, que c'était une excellente idée de demander aux enfants de donner leur tirelire, c'est un bon apprentissage, quand ils seront grands ils trouveront normal de confier leurs économies à n'importe qui, c'est ça l'école de la vie.
Pour cette dernière saillie, je ne pensais pas si bien dire !