Je commence aujourd'hui, la publication d'histoires vraies, édifiantes comme il se doit, qui ont pour protagonistes involontaires certains de mes amis, voire votre serviteur. Ce ne sont pas de simples anecdotes, mais des tranches de vie, rarement dorées, qui reflètent la parfois triste existence de nos contemporains. Si ces modestes récits peuvent apporter un peu de baume au cœur de leurs lecteurs, j'en serais le plus heureux des hommes. Voici donc le premier intitulé : "Un renard au clair de lune".
Le monde est vraiment trop injuste et toujours aussi surprenant. Mon ami Pierrot et moi n'attendions pas d'exploits cynégétiques de la part de notre excellent BH, il n'a rien du chasseur fou de la Brière, on devrait dire plus sobrement brièron, tant les deux qualificatifs peuvent s'avérer être autant de pléonasmes. Donc, notre ami n'a jamais rien eu du brièron, par contre, depuis sa plus tendre adolescence, il est accro du grain de beauté des Côtes d'Armor et de ses nombreuses enseignes si accueillantes, la porte y est quasiment toujours ouverte. Ce soir là, après quelques stations prolongées dans les estaminets les plus sympathiques de sa cité préférée, il décide de retourner au bercail par le chemin des écoliers, cet itinéraire lui permettant au passage de saluer sa chère maman. Ne l'ayant pas revue depuis de nombreuses semaines, il craignait de subir plus tard d'amers reproches, s'il n'effectuait ce petit détour. Les nombreux automobilistes prudents qui connaissent cette route, l'apprécie pour sa tranquillité. Il est exceptionnel d'y rencontrer par exemple un certain type de fourgonnette bleue, à la satisfaction générale, tant il est malaisé de se croiser sur ce petit chemin très étroit. Chacun sait qu'il est déconseillé d'emboutir une fourgonnette bleue le soir en rase campagne. Les frais occasionnés étant tellement dispendieux, qu'ils vous interdisent l'utilisation de votre véhicule pendant une longue période.
De jour, une faible vitesse s'impose, la nuit permet un transport plus rapide, la lumière des phares constituant un excellent avertisseur pour les autres utilisateurs, parfois un piège redoutable pour le lapin de garenne égaré en un lieu si dangereux pour sa santé. Cette nuit là, notre ami BH roule plutôt pépère sur la route champêtre. Soudain, une forme sombre surgit sur la gauche et s'immobilise un instant au milieu de la chaussée, comme fascinée par les deux gros yeux lumineux qui se rapprochent de plus en plus. Le conducteur du véhicule freine désespérément, mais il est trop tard, l'aile droite heurte la forme sombre qui s'était pourtant remise en mouvement. Le véhicule stoppe sa course dans un crissement de pneus. BH bondit hors de sa voiture et se précipite vers l'arrière. La forme sombre gît là, sur le bas côté un mètre derrière le véhicule, un chien pense-t'il ? Mais en s'approchant, il distingue difficilement dans le halo blafard du feu arrière, une queue touffue, un corps fin, un museau effilé, pas de doute c'est un renard. « J'ai tué un renard, moi qui ne suis pas chasseur, tandis que ce bon vieux Quess en trois saisons de chasse n'a même pas occis un moineau ! ». Cette pensée le dérida, elle lui fit évacuer le stress du choc et c'est complètement hilare, qu'il prit machinalement l'animal apparemment sans vie dans les bras. Oh mes aïeux, quelle odeur de fauve ! Gonflé d'inconscience, il l'installe pourtant délicatement à l'avant du véhicule sur le siège du passager, le coffre étant n'importe comment difficile à ouvrir et encore plus pénible à fermer. Tout guilleret, il redémarre et s'arrête quelques centaines de mètres plus loin, devant la maison de sa chère maman. « Regarde maman, ce que je t'amène ». Fier comme Artaban, BH tient dans les bras le magnifique animal dont la tête pendouille, attestant de son état.
« Mon pauv'gars, tu n'es pas un peu marteau, tuer un renard ! Qu'est ce que tu vas en faire ?». Comme d'habitude chez sa chère maman, l'aspect pratique prenait naturellement le pas sur l'extraordinaire, l'insolite, la part de rêve que chaque marin porte en lui, fusse t'il d'occasion. Il grommelle quelque chose d'incompréhensible en posant la bête par terre. Le chien de la maison, jusque là prudemment replié derrière une chaise, démontrant un sens aigu de la tactique militaire moderne, se risque à une approche graduelle, le poil hérissé, grondant d'indignation autant que de peur, puis s'en vient renifler consciencieusement l'intrus finalement fort peu inquiétant. Soudain, il recule lentement, à pas comptés, en montrant les crocs, le corps en biais, la queue au mieux de sa forme, le regard fixant constamment l'ennemi potentiel. Cette singulière attitude n'alarme aucunement notre larron, pas plus que son prédécesseur dans l'arbre généalogique. Fatale négligence ! Le chien gronde de plus en plus fort, il ne recule plus, on dirait qu'il se prépare à bondir. « Tais-toi Taïaut, fous le camp dehors » ! Mais le bâtard grogne encore et toujours. Quelques instants plus tard, BH se surprend à voir le renard ouvrir un œil. Il secoue la tête comme pour réveiller le cerveau endormi. Une petite hallucination se dit-il, à mettre sur le compte d'une fatigue bien compréhensible, après une journée aussi remplie, surtout dans sa deuxième phase. Déjà, sa mère retrouve ses gestes habituels, « tu mangeras bien un morceau » ! Ce n'était pas une question, mais l'invitation autoritaire d'une maman, sachant pertinemment ce dont son fils a besoin. D'ailleurs, en parlant elle glisse sur la table une assiette avec un couteau et une fourchette, tardivement suivis d'un verre. Goguenarde en voyant l'air vaguement inquiet de son fils : « t'inquiète pas, ici on n'a jamais taraudé à sec » !
La porte était restée ouverte en cette douce soirée de fin d'été. BH s'apprête à trancher une tartine de pain, quand un bruit bizarre le stoppe dans son élan. Les violents aboiements du chien le font se lever d'un bond, il aperçoit le renard soudain ressuscité qui passe à toute vitesse de l'autre côté de la table, suivi du roquet hargneux. Alors s'engage une sarabande échevelée, rappelant vaguement une course de lévriers sans leurre. Au deuxième tour de table, le renard prend une légère avance sur le chien, c'est le moment que choisit la mère de BH pour sortir de sa stupeur bien compréhensible. Elle saisit vivement une chaise, la lève vaillamment au dessus de la tête et au moment où l'animal se présente, elle lui assène un coup terrible. Du moins le croit-elle. Las, l'abat-jour de la lampe centrale se trouve sur la trajectoire de l'encombrante matraque ! Avant de voler en éclats, il ralentit et dévie de sa route la chaise qui s'écrase finalement sur le sol, frôlant la queue du renard, dans un horrible fracas de verre brisé et de bois craquant. La pauvre chaise, la moins solide de la maison, au demeurant un peu bancale, ne pouvait résister à un traitement aussi brutal.
Par contre, l'ampoule électrique, miraculeusement épargnée, éclaire joyeusement la scène. Pendant ce temps, l'audacieux goupil entame son troisième tour de table, c'est le moment que choisit le roquet pour rentrer piteusement aux stands. Effrayé par la tournure des événements, le poltron prend la poudre d'escampette. La queue entre les jambes, il franchit prestement la porte heureusement ouverte. Verte de rage, la mégère court vers un petit placard tapi dans un coin de la pièce, pour se saisir d'un solide balai. Brandissant sa nouvelle arme, elle se précipite en direction du lieu de la compétition, désormais sans le moindre enjeu. Un duel s'achève faute de combattant, mais un autre commence, plus âpre, tendu et sans merci que jamais. BH pas plus utile jusque là, qu'un piquet au milieu d'un but de football pour arrêter les tirs adverses, se ressaisit quelque peu. « Arrête, arrête ! Si tu continues à l'effrayer de la sorte, il ne trouvera jamais la porte ». Peine perdue, au comble de la fureur elle bondit sur une chaise, heureusement plus solide que la précédente, sans doute pour se mettre à l'abri des canines acérées de l'adversaire. De dangereux moulinets, touchant parfois le plafond, se mirent à rythmer la progression du renard, qui ne semblait pas faiblir. Il avait de l'entraînement le bougre ! Il pouvait dire merci aux chiens de chasse qui l'avaient si bien préparé à cette épreuve.
Un épisode si affligeant dans son épilogue pour notre héros, qui mérite néanmoins d'être conté par le menu.Le premier moulinet trouve le vide et manque de faire tomber la harpie de plus en plus furieuse, le deuxième après avoir heurté le plafond touche la queue de l'animal, ce qui le fait redoubler d'efforts. Quant au troisième, il fait de nouveau la bise à la paroi supérieure de la pièce, ils étaient de bons copains désormais, mais sans doute troublé par ces nouvelles effusions, le balai s'abat sur le bord de la table, qui surprise, sursaute violemment et balance sans ménagement l'assiette et le verre qui s'écrasent malencontreusement sur le sol, sans faire un pli, juste beaucoup de petits morceaux. Cela ne peut qu'affoler un peu plus le valeureux coureur, champion du tour de table. Sa course devient plus hasardeuse, hésitante, comme s'il cherchait tantôt à droite, tantôt à gauche, une échappatoire qu'il ne trouve jamais. Au quatrième moulinet, il se produit un inconvénient bien connu de tous les bûcherons qui manient encore la hache ou la cognée, mal emmanchées elles peuvent constituer de redoutables projectiles. Le balai déboîté par le choc sur la table, soudain libre comme l'air, s'en va joyeusement percuter la porte vitrée d'un magnifique buffet, qui subitement regrettait de ne pouvoir prendre ses pieds à son haut et devait se résigner à tendre l'autre porte. Les verres rangés derrière la vitre se mettent à protester violemment, loin de l'harmonieux tintement habituel. On suppose, que se voir ainsi pulvérisés, leur a fait monter la moutarde au col. Une fois en miettes, ils se taisent, comme honteux et confus de s'être laissés avoir par un pompier pyromane.
Ainsi va la vie, chaque jour nous rapproche un peu plus du trépas. Un verre ça va, mais BH aurait pu se trouver sur la trajectoire du missile à poils drus ! La mégère, pas la veille qu'elle soit apprivoisée, geigne lamentablement, agite sans conviction les bras, surtout celui portant le manche, sentant confusément qu'il n'a pas produit ce dont on pouvait en attendre. Le renard, lui, se porte comme un charme, galopant fièrement dans la douceur nocturne, le regard altier, quoiqu'une pointe d'effroi y perce indubitablement, le museau effilé fendant avidement l'atmosphère hostile, la truffe humide précédant fièrement le magnifique animal. Sans barguigner, on lui accorde les oreilles et la queue, du balai. Mais une fois de plus, la vie, cette chienne de vie, est notoirement injuste, cruelle, sans pitié. La bête fatiguait, BH avait disparu, les choses restaient en l'état. Soudain, notre ami apparaît tel le Sauveur s'apprêtant à chasser les marchands du temple, brandissant un solide bâton du type gourdin, il se précipite vers le renard. Il lui assène un coup à étourdir un bœuf, juste derrière les oreilles. La pauvre bête est stoppée net dans son élan, les pattes avant se dérobent, la tête s'incline comme si elle acceptait la défaite, l'ultime, celle dont on ne se relève pas. Cervicales sans doute brisées, elle gît désormais sans agonie sur le sol maudit, la gueule entrouverte, la langue impertinente, sur ce dur terrain honni qui pue l'homme et le chien domestique.
La vie reprit normalement après cet épisode, comme il se doit chez les gens normaux. Normalité soulignée par la naturalisation du renard, comme s'il était possible de conserver l'illusion du vivant à un animal mort. Les empaillés ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Par contre, les empaffés, ce sont toujours les mêmes. Nonobstant ses nombreux amis, surtout quand il rince la galerie, il s'est trouvé des engeances mal intentionnées, des esprits retords, des bêtes malfaisantes, des suppôts de Satan qui ont mal parlé. BH a été obligé de mettre les choses au point, quasiment aux poings d'ailleurs. Nous sommes tenus d'admettre, que sans ces médisants, l'épisode croquignolet que je viens de conter serait resté au mieux une obscure anecdote très édulcorée, au pire une vague rumeur sans fondement, aussi crédible qu'une escadrille de soucoupes volantes traversant notre espace aérien au son de « l'hymne à l'amour ». Aussi, pour éviter les fines dentelles que nos petites mains agiles et avisées, n'auraient pas manqué de broder, BH nous raconta l'aventure par le menu. Quelques questions posées à bon escient, nous convainquirent de la sincérité des propos. Pierrot, inspiré par une logique implacable et la vue récente d'un épisode de la célèbre série télévisée, proposa de rebaptiser BH.
Illustration d'une vaste culture, rarement prise en défaut, il connaissait trois mots d'espagnol, dont celui là. Le nouveau Zorro se montra flatté, à notre grand étonnement. Les piques agacées n'entamèrent nullement sa bonne humeur. Nous décidâmes alors de frapper un grand coup, mais c'est une autre histoire que je me ferai un plaisir de vous raconter prochainement.