Emmanuel Riondé

Pigiste Mediapart

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Billet de blog 14 septembre 2022

Emmanuel Riondé

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Pour saluer Le Ravi

Le Ravi, mensuel enquête et satire en région marseillaise, cesse de paraître. Bref hommage à ce fleuron de la « presse pas pareille ».

Emmanuel Riondé

Pigiste Mediapart

Un journal ferme boutique. Après 18 ans d'existence, le mensuel marseillais Le Ravi a baissé les bras en fin de semaine dernière. Cessation de paiement, liquidation judiciaire. Fin de l'aventure pour la petite équipe de 6 salarié·es qui faisait vivre le journal. Ils et elles se retrouvent au chômage et vont sûrement commencer par prendre un peu de repos. C'est pas volé.

Le Ravi c'était le choix de la presse papier, celle qui noirçit un peu les doigts, et du dessin de presse, celui qui fait rire ou grincer. Le parti pris crânement défendu d'une satire jamais malveillante, jamais méprisante ni raciste, souvent piquante et toujours tricotée avec des contenus journalistiques de qualité : enquêtes étayées, reportages bien écrits, dossiers fouillés, entretiens, chroniques, débats.

On y trouvait chaque mois le récit de tout ce qui fait la vie d'une aire régionale : les tribulations pas souvent glorieuses (euphémisme) des élu·es, les élans de vie des mouvements sociaux et du monde de la culture, les mobilisations associative et citoyenne. Et aussi un suivi pointilleux et documenté du poison fasciste qui, en PACA comme ailleurs mais là-bas plus tôt et plus vite, s'instille patiemment dans les veines du pays.

Le Ravi c'était chaque mois quelques formats originaux et percutants qui vont nous manquer : le « contrôle technique de la démocratie » (reportage embeded dans un conseil municipal quelque part en Provence), ou le « poids lourd » (portrait de Der d'une « personnalité qui présente une surcharge médiatique »). Leur ultime 4 pages en ligne est fidèle à cette ligne.

Raconter autrement la vie en PACA et à Marseille, prendre toute sa place de média dans le débat local, intervenir auprès des minots pour faire de l'éducation populaire: l'utilité politique du Ravi, alternative de choix à la Provence récemment rachetée par Rodolphe Saadé, le patron de la CMA-CGM * qui aura été le dernier poids lourd portraitisé par le mensuel, n'est pas contestable.

Tout cela prend fin, ce n'est pas un échec, c'est une histoire qui arrive au bout. Le pognon, dont celui, public, qui tombe largement dans les caisses des médias dominants, a manqué. Et l'on finit par s'user à devoir toujours repartir au combat, non pas pour faire son boulot de journaliste, mais pour convaincre les lectrices et les lecteurs qu'il faut s'abonner, lire, que l'indépendance à un prix etc. Convaincre que face à une presse quotidienne régionale (PQR) toujours plus notabilisée et ronronnante, fait-diversière jusqu'à l'outrance, et généralement dans les mains de grands patrons, il faut, quand on le peut, soutenir celles et ceux qui font vivre une alternative médiatique. C'est un acte politique qui n'est pas mineur.

Le Ravi appartenait à l'archipel français de la « presse pas pareille » - une expression qu'on leur doit -, critique et indépendante, structurellement en lutte pour sa survie (ici, une carte proposée par l'Age de faire). Il en était même l'un des fleurons. Dix huit ans d'indépendance, à chercher des poux aux « élites » dirigeantes, à décrypter et à documenter les enjeux de la vie locale, en se marrant, loin de Paris et de ses réseaux de soutien, c'est pas mal du tout. L'équipe du journal sort la tête haute du champ de bataille médiatique. Respect, bravo, merci et bons vents à elles et eux. Et force à toutes celles et ceux de la « presse pas pareille » qui continuent d'aller au charbon...

* rectification ajoutée le 15/09/22: Rodolphe et non pas Jacques, son père, décédé, comme je l'avais écrit par erreur. Merci au lecteur très averti qui m'a signalé la coquille.