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Billet de blog 14 juillet 2017

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De l’autre côté de La Défense : créer un paysage commun

Le raccord entre la Grande Arche et la poursuite de l’axe historique vers Puteaux et Nanterre est aujourd’hui au centre de bien des attentions. Mais l’invention d’une ville commune, par-delà les architectures singulières, reste un horizon difficile à imposer. Avec une visite guidée de la tour Skylight en compagnie de Louis Paillard.

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Un cube a plusieurs faces. Une arche cubique aussi. On ne s’en était pas aperçu, d’abord : de l’autre côté, c’était le ciel. Mais l’énième volume platonicien commandé par Mitterrand avait au moins cet avantage, il était réversible.

De l’autre côté de la Défense, les choses n’ont d’ailleurs pas tardé à s’organiser. L’Axe historique – Arc du Carrousel, Arc de Triomphe, Grande Arche… – se poursuivrait dans la glorieuse banlieue française. Moins haut, moins fort… Mais tout aussi aligné. Et sans oublier cette dissociation contemporaine des formes et des couleurs qui, au cœur de l’ordre étatique, et sans lui nuire a priori, réinscrit désormais un peu de vie : des balcons, des failles à qui mieux mieux… l’image d’une société à la fois organisée et multiple.

Illustration 1
Vue de l'Axe historique depuis Nanterre

On en est aujourd’hui à aménager l’espace au plus proche de l’Arche, le raccord en quelque sorte, et ce non sans des conditions très favorables : l’intérieur surélevé de l’Arche offre un point de vue parfait ; le cimetière de Neuilly, accolé au monument, dégage largement les alentours, et constitue une scène urbaine du meilleur aloi. On a même construit une promenade : une « jetée », en hauteur comme de juste, et dépourvue d’escalier pour redescendre après quelques centaines de mètres de marche. Vue de Paris, la banlieue a parfois des airs d’océan.

Comment accomplir un tel site ? Il y fallait une forme remarquable, capable tout à la fois de justifier la vue et de lancer la longue perspective. Une forme en contraste avec la raideur que celle-ci suppose, et qui sache, tel le CNIT de l’autre côté, dialoguer avec ses parallélépipèdes de voisins. Un stade devait pouvoir faire l’affaire. Le genre a connu ces derniers temps un investissement architectural notable, et l’on commence à saisir l’intérêt de son usage urbain, plutôt que de le repousser aux périphéries. A Christian de Portzamparc de faire le reste.

Illustration 2
Vue depuis l'Arche de La Défense

Au vu des travaux en cours, l’arrondi est au rendez-vous. Mais l’architecte a préféré, sur la droite, en défaire le mouvement pour céder à cette démultiplication des formes qui lui a tant réussi ailleurs – et qui, depuis l’Arche, atténue quelque peu l’effet d’ensemble. A vrai dire, c’est aussi un moment de sincérité : l’Arena Stadium relève plutôt du carré qui arrondit les angles… et se défait au dernier d’entre eux. Une très belle corniche en vague de béton, que poursuivra la courbe du toit ; des écailles qui viennent fluidifier la longue façade, et lui donner un peu de mouvement…

N’est pas poisson qui veut. Le tout ne manque pourtant pas d’élégance. Ni de cette finesse qui caractérise l’architecture de Portzamparc : une douceur, une blancheur qui confinent au savoir-vivre et résorbent un peu le gigantisme du stade. L’Arena n’exhibe guère, à l’image du CNIT, de coup de force structurel à même d’impressionner les buildings. L’architecte, en un sens, parachève le paradoxe de cette monumentalisation en mode mineur qui caractérise, vaille que vaille, ce qui reste l’arrière de l’Arche. On peut regretter qu’il en aille ainsi, et que l’aménagement du site n’ait pas fait de la Défense une véritable polarité nouvelle, en dehors du rapport à Paris. Avec l’Arena comme avec l’Ecole de Danse, un peu plus loin, Portzamparc n’en aura pas moins donné deux points de repère décisifs à ce qui fait figure de continuation plutôt que de reprise.

Idéalement, du moins… Car il faut bien le dire, tout ceci relève d’une certaine abstraction. Entre l’Arche et l’Arena – que certains visuels de l’agence Portzamparc présentaient soudés comme jamais – a poussé un petit immeuble noir, un immeuble de rien du tout me direz-vous, à peine cinq étages, mais qui entend bien tenir son rang, le premier… et, c’est un fait, sabote définitivement l’ensemble.

Illustration 3

Oh, l’architecture n’est pas ici en cause. Sous la férule de Farshid Moussavi, la barre d’habitation classique se met presque à danser : le décalage des plateaux habités, un étage sur deux, est bien malin, et permet encore à l’ensemble de prendre différemment la lumière. Parcourue d’élégantes grilles verticales, noires, et de pans plus clairs, la ligne continue de balcon compose une façade presque ouverte, comme allégée…  Quant à la couleur noire (oui, près d’un cimetière, des architectes pensent que le noir… eh oui…)…

Tout est pourtant définitivement bousillé. Certes, l’axe se voit respecté. En apparence, l’ordre règne. Mais de l’Arche, l’Arena est abîmée ; mais de l’autre côté, elle est un peu plus soumise à l’alignement, qu’elle réveille à peine ; pire, le décrochage des étages, si délicat, et toujours noir sur noir…. vient mordre sur la silhouette de l’Arche. Des deux côtés, le panorama se perd, s’est déjà perdu, au profit d’un seul.

Illustration 4

Comment a-t-on pu, pour clore une figure urbaine si évidente, l’agresser à ce point ? Mystère. L’architecture contre la ville, le motto des années quatre-vingts revient à l’esprit. Mais c’est ici l’architecture contre l’architecture, et la ville elle-même qui en un point décisif de son développement, a sacrifié son aspect global à l’usage extensif du sol. Rarement scène urbaine aura dessiné autant de puissance publique et, simultanément, autant d’incompréhension de ce que peut être la chose publique elle-même.

Illustration 5
L'Arena Staidum (Portzmaparc) et l'immeuble de Farshid Moussavi vus depuis la tour Skylight de Louis Paillard

Heureusement, la dérive n’est pas généralisée. De l’autre côté de l’axe, Franklin Azzi et Louis Paillard se sont visiblement concertés. Un même gris métallique unit l’Ecole de Commerce à la tour de logement qui la surmonte. Pour ne pas coller à la première (et gagner malgré tout quelques mètres de ce côté, histoire de pouvoir ouvrir des fenêtres au Nord) la seconde s’est en partie soulevé de 25 mètres sur d’énormes colonnes. Et quelles colonnes ! Si chargées en vérité qu’il a fallu les faire construire au Portugal par des spécialistes de carènes de bateaux, d’acier rempli de béton. Louis Paillard parle volontiers d’une tour « déhanchée ». On appréciera le décrochage, qui défait ce que l’association des deux bâtiments eût pu avoir de massif.

Illustration 6
Louis Paillard, Tour Skylight (c) Guillaume Guérin

En fait de tour, il est d’ailleurs des règlementations précises : au-dessus de 50 mètres, il y faut un pompier 24 h / 24. Le seuil n’était donc guère franchissable. Pour ne pas céder à la guerre de l’architecture, il fallait par contre que la nouvelle réalisation fasse la transition entre les plus hautes tours des banques et la ligne plus basse de l’axe Puteaux-Nanterre. Comme il fallait l’assurer, sur un plan plus esthétique, entre la grille redoutable de l’argent-roi, la neutralité des tours de bureaux, et la diversité promue un peu plus bas. Ouvrir des fenêtres au royaume de la géométrie pure peut rapidement faire désordre…

La solution ? Une seconde peau : des plaques d’aluminium anodisé, percées de carrés variables et elles-mêmes réparties en une composition plus vaste. Un « système graphique de pixellisation » à deux échelles, donc, à même d’intégrer toutes les fenêtres en un pattern complexe, et de répondre à la géométrie ambiante sans tomber dans son simplisme. En haut, la peau se prolonge (!), monte, et permet de gagner une bonne dizaine de mètres. Le tour est joué. Un nouveau pic ouvre le massif de La Défense.

Illustration 7
L'autre côté de La Défense (c) Guillaume Guérin

Les hauteurs, à vrai dire, ne vont pas sans évoquer quelque étrange travestissement, d’un volume qu’on découvre parfois un peu nu. Encore un peu, et la tour d’habitation, au milieu de ses riches consœurs, ferait figure de passager clandestin – c’est peut-être un signe. La « coiffe » évoque un instant ces plaques de plastiques colorées, percées de formes en tous genres, dont nous raffolions en notre enfance. Le métal, pourtant, capte fort bien la lumière, s’en idéalise. Et la pixellisation n’est pas sans charme.

Pour finir, rien à faire : il y a quelque chose de Tétris en cette étonnante façade. Et l’image insiste d’autant plus qu’elle relit à sa manière le rapport entre la tour et l’école de commerce, qui semblent sur le point de s’encastrer. Tétris : un jeu, un art aussi de l’assemblage, de la continuité – sur un terrain, la fin de dalle, que tout concourt à morceler. Une touche d’informatique, encore, pour dépasser la banalité des tours d’argent en tous genres, leur ordre ancien. Tout au bout de l’axe ou presque, à Nanterre, l’agence X-TU a elle aussi travaillé sur la pixellisation pour animer la part d’alignement dont elle avait la charge. Et l’on rêverait, pour compléter la donne, qu’une autre part ait été confiée à Stéphane Maupin, qui sait y faire. Il y eût eu là une ville véritablement programmée… et ludique tout à la fois.

Illustration 8
XTU, immeuble d'habitation sur le grand axe, Nanterre (c) Luc Boegli

Car il s’agit de ville. Et doublement même : notre tour d’habitation est la première du genre à pousser à La Défense depuis trente ans. On repeuple. Le programme imposé aux architectes permet pourtant de deviner un peu quel type de ville se rêve en ces lieux. Les duplex en accession ne dépassent pas le F2. Trop d’équipements publics eussent dû être financés si des familles s’étaient vraiment installées : crèches, écoles… On sera donc de passage (ou peu prolifique). Quant aux logements étudiants qui se partagent les premiers étages, ils se divisent en studios et appartements partagés. Chacun sa chambre, une cuisine, une salle de bain. Mais attention : trois frigos ; trois lavabos. On ne fait pas à moins. L’idée de communauté, après tout, ne souffre pas que dans sa mise en scène la plus spectaculaire.

Illustration 9

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