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Billet de blog 27 novembre 2015

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Une cérémonie de sacralisation de l’Etat d’urgence

Hommage à la République et aux victimes du 13 novembre, la cérémonie des Invalides n’en a pas moins donné à voir, par une mise en scène des plus efficaces, la constitution d’un pouvoir d’exception.

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La chaise deux mètres en avant. La sortie solitaire, au milieu d’une cour immense, et du silence des centaines de présents. Dans le cérémonial inventé ce 27 novembre en hommage aux victimes du 13, et retransmis en direct, cette mise à distance du Président de la République se révélait d’autant plus efficace qu’elle ne passait par aucune image pré-fabriquée (entendons par là une image en amont de l’image filmée : l’écran géant par exemple, ou le chœur militaire…) et échappait de ce fait à tout effet de réduplication et de kitsch. Seul l’espace ici parlait.

Quand la guitare, les jeunes chanteuses, cadrées par la baraque protectrice, mises en scène, semblaient brusquer l’institution militaire des Invalides pour une image d’inclusion, de partage (non sans déplacement, des Eagles of Death Metal à Barbara…), les mouvements du Président découpaient au contraire l’espace d’un retrait, d’autant plus décisif qu’ils mettaient fin, majestueusement, à la cérémonie.

Rien a priori fait là pour offusquer. Séparé de la classe politique et des responsables passés ou présents, le Président se devait de l’être pour incarner la nation en deuil. « Au-dessus des partis », la formule est assez connue. Et le Président, tout de noir vêtu, offrait une émotion assez convaincante pour prendre sur lui la blessure infligée à la nation. Sans que l’on puisse naturellement parler de bouc émissaire, quelque chose de cette sacralité passait dans le personnage visiblement intouchable.

La mise en scène pourtant reprend ses droits. Car le Président avait fait son discours aux Invalides, devant l’inscription « Musée des Armées ». Et (sans ironiser facilement sur « musée ») avait aussi parlé en véritable chef des armées. On n’invoque pas la guerre en vain pendant des jours et des semaines.

En dernier recours, la sacralisation par le deuil rejaillissait entièrement vers l’incarnation solitaire du pouvoir. Autant qu’une cérémonie en l’honneur de la République blessée, le 27 novembre sacrait l’Etat d’urgence prolongé quelques jours plus tôt par les parlements réunis, dans un autre lieu associé à la mémoire de Louis XIV. On dirait presque l’Etat d’exception.

On pouvait rêver autre chose.

(Un détail : Si la traversée finale de la cour ne relève pas d’une image pour une autre image, on ne peut négliger pour autant son caractère autrement spectaculaire dès lors qu’elle était filmée d’en haut, comme ce fut le cas. « Seul l’espace parlait », dans cette optique, peut passer pour particulièrement erroné. Directement image, si l’on peut dire, dirigée vers un espace plus large que la seule cour des Invalides, la dernière marche ne manque pas de renvoyer vers la production du spectacle télévisuel qui prolonge nationalement la cérémonie : production entièrement contrôlée par le Ministère de la Défense. Aucun hiatus, de ce point de vue, entre la production du pouvoir et celle des images.)

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