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Billet de blog 11 janvier 2015

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L'absence qui interroge

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'étais à la marche de Paris. J'ai été frappé dès les premiers instants de l'absence de personnes maghrébines et, dans une moindre mesure, du relativement faible nombre de personnes d'origine africaine. A aucun moment sur les trois heures de ma présence à cette marche, mon impression n'a été démentie.

En clair, les musulmans étaient absents. Bien sûr, les musulmans peuvent être blancs... Mais, moi qui travaille avec les jeunes d'origine africaine de Belleville et cotoie des musulmans fréquemment, je préfère dire les choses simplement. Oui, les musulmans étaient absents aujourd'hui. J'ai lu d'autres témoignages sur d'autres manifestations. Identiques.

J'avoue que j'ai été atristé de ce fait. J'avais envie d'un grand moment de fraternité, où les vrais pratiquants de l'islam viendraient dire : non, ce que vous avez vu, ce n'est pas l'islam. Les imams d'ailleurs avaient appellé à participer aux marches.

J'ai été atristé aussi de cette impression de nous retrouver "entre nous", les "white". J'avoue, ça ne m'intéressait pas tellement, aujourd'hui, au vu des évènements de cette semaine, et surtout, au vu des menaces qui pèsent sur le "vivre ensemble" depuis ces lugubres coups de kalachnikov. J'espérai autre chose de cette marche.

A vrai dire, je me sentais seul dans cette imense foule. Il manquait quelqu'un. Un frère...

Je pense donc qu'il faut s'interroger avec honnêteté sur cette absence. Elle est un indicateur de l'état de nos relations, aujourd'hui en France, entre musulmans et non musulmans. Et il faut l'analyser. Pourquoi ne sont ils pas venus ? Une étude de ce pourquoi nous permettra de sentir ce qui fait différence entre nous. Etre vraiment à l'écoute, ne pas tout de suite plaquer nos "vérités", accepter la vision de l'autre même si elle ne nous convient pas ou si elle nous paraît intenable. Ce sont des conditions pour entendre ce qui vit réellement en l'autre. A partir de là, le dialogue dans le respect peut avoir lieu. Avant, c'est du colonialisme, bon allez, je suis gentil, de l'occidentalocentrisme.

Une jeune antillaise que j'interrogeais sur cette absence me disait qu'elle avait invité une amie musulmane (elle, elle ne l'est pas) à venir marcher avec elle. Celle-ci avait refusé, étant voilée, car elle était inquiète de se retrouver seule au milieu de la foule, n'étant pas "accompagnée de musulmans". Cela l'aurait visiblement rassurée.

Je suis persuadé que si l'on cherche à comprendre, avec délicatesse et franchise (oui, oui, les deux en même temps !), ce qui a provoqué cette absence, l'on aprendra des choses très importantes sur ce qui, justement, pose problème dans notre société.

Ces jours-ci, jai mené quelques dialogues avec mes amis muslmans ou avec les jeunes de Belleville avec qui je travaille (je suis bénévole dans une association, nous créons un film à partir de leur vie). Je leur demandais ce qu'ils pensaient des évènements de ces derniers jours. A propos de ce qu'il y avait à faire avec ça, j'ai senti, à certains moments, un assez grand fossé dans nos visions des choses. Vanité d'être acteur dans une société qui, au bout du compte, exclut ; freins à l'action en tant qu'individu dans le cadre de la religion,...

De ces dialogues et du travail que je mène dans les rues de Belleville depuis deux ans, je tire le constat que nous n'avons, et loin s'en faut, pas encore assez parlé ensemble. Dit comme cela, ça paraît simple, mais c'est, je crois, la chose la plus difficile au monde.

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