
Agrandissement : Illustration 1

Que serions-nous sans le langage ? Il nous a fait ce que nous sommes. Seul il révèle, à la limite, le moment souverain où il n'a plus cours.
Georges Bataille, L’Érotisme
Les amateurs de Véronèse, de Pontormo, de Zurbarán, de Bacon ou de Soulages, savent ce que l’émergence des formes, de leurs petits martèlements savants, ce que le plain-feu des façons d’homme, doivent non pas à tel « néant » auquel ils se soustrairaient mais à l’animation cruelle d’une nuit dont ils constituent l’exception prise en une matrice impassible, séminale et suprême, qui les fonde et se retranche dans l’antichambre où elle les observe, tout à la fois goguenarde et aimante, suzeraine et refusée comme forme.

Agrandissement : Illustration 2

Il y a dans la forme, dans la « façon » soumise au regard, non tant l’autorité de ce qui se donne comme ce qui n’est pas en l’être que le témoignage fragile d’une communauté en l’être de la nuit animée et de l’astre engendré par une matière sans contour atteignable et qui, depuis une tutelle silencieuse qui est celle-là même de la « justification des choses », féconde un élan d’arrachement vers l’excédent lumineux de la vie, cette liberté d’œuvrer à l’apparition lazaréenne d’une portée de jour dans le vivant refus, dans le vibrant refusé qui le « laisse aller ».

Agrandissement : Illustration 3

Toute forme, en somme, est « nature morte », tout objet posé comme objet, c’est-à-dire à la fois comme sa complétude et sa circonscription au cœur de ce qui n’est pas soi et le « justifie », est produit d’un apprentissage de l’arrêt sur soi de ce qui, transcendant la pose, transcendant la fixité du formel, consacre à la fois la volonté libre que soit quelque chose d’obtus à son dépassement et l’abolition de cette volonté dans le constat tragique d’une vie supérieure à quoi nulle projection lumineuse, nul effort d’irradiation n’est nécessaire pour « se faire jour ».
La forme est morte lors qu’elle est l’aliénation, dans la façon, de la vie ; son arrêt en soi la condamne à ne témoigner que de la mort d’une vie suprême dont elle s’abstrait le temps du vouloir échapper et qui la rapporte à soi en tant que sa propriété ou son attribut.

Agrandissement : Illustration 4

La forme exposée dans l’ombre, l’étoile ou la perle piquées sur le dais, le corps coruscant cloué d’ombre, le membre tabide enté sur l’économie sans prétention aux limites de la nuit matérielle, disent tout à la fois l’exigence humaine que quelque chose soit à la brillante exception de ce qui n’est point soi et l’absence en toute chose d’exception à l’ordre des choses.
Toute nature est morte, qui ne saurait rendre compte de la consubstantialité de la nature à la permanence du devenir.
Rien ne devient, qui est une forme ; tout est devenir, en la nuit qui origine la forme.

Agrandissement : Illustration 5

Œuvrer, ouvrer, ourler, excepter aux forceps l’aliénation d’un corps volontaire captif de sa nuit de mille vies, c’est trouer, c’est crever de mort accessoire et superbe comme la charge du cavalier romantique, du bretteur de von Kleist, de l’idiot dostoïevskien, cette nuit faramineuse qui est le jour en vérité, la vie de toujours, la nature, la nature vivante, retranchée, sourde et aveugle, et dont la vie d’homme est le mort recul en soi du stupéfié théâtral, de la cariatide martyre qui témoigne du « plus que tout ».
Les œuvres de Natacha Nikouline, qu’elles traitent de la nuit comme moteur d’engendrement de la fragilité de la forme et du monde par le biais de la nuit comme forme ou du dérèglement par la nuit de la netteté des contours de la forme qui lui est subordonnée, s’en échappant pour témoigner, filent le long fil d’une tradition plastique où s’interroge la nécessité farouche de l’origine, du commencement de l’étant au règne noir.

Agrandissement : Illustration 6

Elles rythment follement, opiniâtrement, éperdument, de ponctuations folles, opiniâtres, éperdues, la candeur océane de ce qui est sans fin de forme.
Elles portent dans le même temps l’exigence que quelque chose soit et celle que quelque chose se dise, dans le témoignage de ce qui est, d’une contrainte du retour de ce qui est à son devenir, à cet écho en toute chose qui est son devenir, du retour de ce qui est non point à son néant mais à sa plénitude en l’ineffable vivant.

Agrandissement : Illustration 7

Elles sont grosses de l’éternité du mouvement naturel dans leur fixité de décor, elles présentent « l’humaine condition » comme un temps formel dans le temps naturel, comme l’image d’une « imago », l’étape d’une métamorphose incoercible, en quoi elle triomphe au triomphe suprême qui la trouble et qui la dévore, la « laissant venir ».

Agrandissement : Illustration 8

Natacha Nikouline, en somme, qu’elle impose au regard dispositifs savants, petits théâtres comme de Guignol à quoi quelque chose manque toujours, corps innervés de suie ou d’indécis, muscles ou organes à leur point de rencontre avec le poudroiement des charognes, lucioles drapées, veinées ou guillochées, ne fonde jamais que pour fonder outre, ne forme jamais que pour célébrer, que pour révérer, la splendeur nocturne de l’absence formelle.

Agrandissement : Illustration 9
