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Billet de blog 3 mars 2017

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François Fillon, gentil fakir (reprise)

L’on peut à bon droit renoncer à la pratique de la compétition automobile. Il est de ces activités étranges dont le goût interroge le dépositaire du sens commun, paresseux et jaloux de son confort.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le plaisir pris à la sangle, au port du casque, à l’assourdissement, à la chicane, au risque vital, ne réside pas en soi, ne relève pas du mode apodictique du philosophe.

Il en va de même de la longue traversée solitaire à la voile, de l’escalade d’édifices urbains, du cloche-pied sur filin en haute montagne, du saut à l’élastique, de la consommation du jus de navet ou de l’huile de ricin, de l’écoute prolongée de Mireille Mathieu.

De même, l’intériorité propose de ces pratiques dont l’attrait ni l’appétit ne sont à l’évidence l’apanage du commun. La pratique laïque de l’autocritique, l’usage de la haire et de la discipline introspectives, non plus que leur usage cultuel, ne constituent l’objet du désir du commun.

L’homme du troupeau des hommes éprouve peu de plaisir au déplaisir : il lui préfère de loin le plaisir qui plaît.

Il juge confortable le confort, cette brute tautologique, il souhaite le souhaitable, il aime l’aimable et il jouit du jouissif.

Jouir du pire, en somme, qualifie une singularité, au regard du troupeau philistin.

Éminent ou fou, anachorète ou héros, tout cela ensemble sans doute, le jouisseur de pire est une rareté au cœur du troupeau.

Qu’il jouisse de souffrances suscitées par le dehors, par l’aventure qui bourrelle, ou qu’il jouisse de souffrances suscitées par le dedans, la mortification qui taraude, qu’il soit bourreau de soi depuis la convocation du monde ou de soi, le jouisseur de pire intrigue.

Et comme il l’intrigue, l’homme du troupeau le déguise en pensée pour le ramener à soi, pour le reconstruire à sa mesure et le comprendre : le jouisseur de pire, le fakir, n’est pas de la farine folle et irréductible au jugement des fous, il doit bien avoir ses raisons.

Il ne saurait se sacrifier pour jouir, se brûler pour rire, cela n’est point de ce monde du troupeau, cela n’est pas consommable par la pensée du troupeau.

Non : le jouisseur de pire a ses raisons, il a ses circonstances déterminantes, il ne se peut que son excentricité soit détachée des causalités. Il doit bien avoir ses raisons.

Et l’homme du troupeau rencontre bien, çà et là, des causalités : le fakir, le martyr témoignent de dieu et de l’homme, ils ne sont pas sans nécessité, ils ne goûtent pas le pire pour le pire. Le sang la sueur et les larmes de l’eudémonologue Churchill, de Thatcher la vestale, ne leur sont pas congéniaux, ils eurent des causalités historiques ou économiques. Qu’il ait ou non raison, l’homme du troupeau goûte que celui que souffrir fait jouir ait quelque raison de prospérer en ses marges.

Et cette aspiration à comprendre est à mesure du prosélytisme du fakir, du buveur d’eau tiède ou de sirop médicinal, du dévoreur de chicorée, de l’ascète radical, de l’avare compulsif, du féal des précipices.

Car celui qui jouit du fouet jouit, par pure générosité, de fouetter et c’est naturellement lorsqu’il fouette qu’on aime le plus à le comprendre, à le réduire au connu, à circonscrire en lui une part commune.

L’étonnant, équitable et généreux bourreau qui aime autant la torture qu’il s’inflige que celle qu’il inflige est une figure de la sauvagerie que l’entendement œuvre volontiers à domestiquer.

Celui qui, en tout, au dehors et en soi, voit le pire pour en tirer plaisir fait le délice de l’investigateur des âmes singulières, du curieux de fantaisies éthiques.

Si le séide de Masoch excite, ce n’est pas qu’il convertit, c’est qu’il est l’autre tout à fait.

Or, 2017 aura son généreux, son gentil fakir, en la personne politique et, qui sait, intime, de François Fillon.

Que l’on ne s’y trompe pas, il n’est pas au monde de discours de vérité hors la prophétie au cœur du croyant, il n’est pas davantage de discours de vérité que de vérité révélée comme un corps glorieux au cœur du croyant. Celui qui prétend tenir le discours de vérité jouit en réalité d’une des polarités imaginaires du réel. Que vaut la dette, par exemple ? Beaucoup plus qu’elle ne vaut, cela va sans dire, aux yeux du fakir. Qu’est-ce qu’un fonctionnaire, pour le fakir ? Quelqu’un que quelques privilèges certes compensés par des servitudes, empêchent de jouir enfin vraiment.

De même que le ravi de la crèche éventuellement présidentielle jouit d’une résolution heureuse des difficultés du temps qu’il invente, à l’instar de la cigale de La Fontaine, à chaque nouveau lever du soleil, de même le généreux fakir fait don et leçon de sa jouissance du pire en en exposant avec délice l’intensité, la profondeur, l’incurabilité sans souffrance supplémentaire. Car c’est un trait définitoire du fakir généreux que de faire don de cette souffrance dont il jouit non seulement en en partageant les motifs mais encore en en accentuant les effets en les détaillant et en les augmentant.

Ainsi la faillite du pays de France sera-t-elle infiniment plus appétissante au fakir quand elle se sera enfin alliée à un effacement de la péréquation nationale, de la généralité de la couverture des soins, au renforcement de l’inégalité de traitement entre possédé et possédant.

Il ne suffit pas qu’il y ait de la dette, il faut encore en majorer la portée, en figurer la délectable nocivité, l’irrésistible éternité, il faut ensuite en tirer toutes les conséquences de martyre jouissif : emploi précaire, pragmatique étatique, recours public envolés, inégalités de pouvoir d’achat, retraite sine die, temps de travail de chez Germinal, santé censitaire.

C’est alors que l’identité heureuse du fakir généreux sera pleinement atteinte : il aura souffert de jouir et cru faire jouir en torturant.

Il aura placé le corps social tout entier, cet incompréhensible troupeau jouisseur de plaisir, dans les réceptacles étroits de la combinaison et du bolide fonçant dans un bruit assourdissant et des odeurs d’essence vers telle chicane dans l’absence d’un paysage.

Ce n’est pas que François Fillon soit un mauvais homme non plus qu’un mauvais politique, tout au contraire : sa conviction ni sa dévotion au troupeau ne sont contestables.

Non, simplement François Fillon est une rareté, il évoque les clients des « maisons » d’autrefois dont ces dames charitables  disaient qu’ils avaient « une idée fixe ».

Il sera loisible à l’homme du troupeau de juger en conscience, au printemps 2017, si son déplaisir est l’essence de son bonheur à venir.

(article initialement paru le 3 janvier 2017)

(Un recueil des articles publiés dans ce blog a paru le 25 février 2017 chez Gwen Catalá Éditeur, en partenariat avec Mediapart. : https://www.amazon.fr/Un-regard-lautre-Tugny-E/dp/2376410304/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1488530464&sr=8-1&keywords=tugny+regard)

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