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Billet de blog 4 janvier 2013

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Les trois mousquetaires du discours politique

Les maîtres de la rhétorique ancienne, Platon, Aristote, Cicéron, Quintilien, mirent au monde trois inséparables bambins dont les descendants courent encore aujourd’hui les plateaux de la Cité. Ils ont un peu les noms des mousquetaires galopeurs de Dumas : Logos, Ethos, Pathos.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les maîtres de la rhétorique ancienne, Platon, Aristote, Cicéron, Quintilien, mirent au monde trois inséparables bambins dont les descendants courent encore aujourd’hui les plateaux de la Cité. Ils ont un peu les noms des mousquetaires galopeurs de Dumas : Logos, Ethos, Pathos.

Logos a pour soi la concentration sur le message, le contenu, le sujet et son architecture logique, sa cadence rationnelle, il a pour soi d’être en prise, devant l’auditoire, avec ce qu’il entend lui dire. Peu lui chaut d’être ou de ne pas être, peu lui chaut que l’on soit ou que l’on ne soit pas devant lui : seul lui importe que le fait soit dit, dans sa circonscription, dans ses dimensions,   sous ses vertébrations, ses articulations de fait.

Logos, au fond, dit quelque chose, voilà ce qui importe à Logos.

Il a ses rejetons, au champ politique moderne : Mendès, Rocard, Delors, Bayrou, Borloo, Hollande, Juppé, Jospin.

Ils ne sont pas les plus roboratifs, les plus érotiques, les plus envoûtants, les plus ravissants de nos rhéteurs, l’adhésion qu’ils suscitent ne se fonde point sur une culture de la pensée apéritive mais à tout le moins s’essaient-ils à dire indépendamment du sujet ou plus exactement du masque, de la persona, en deçà de la prise de parole.

Ils donnent l’illusion que quelque chose de quelque chose est atteint à travers une incarnation humble qui se soumet, presque en medium, à la parole de quelque chose qui les dépasse et qui les meut, les traverse, les faufile : qui les subordonne.  

Ethos a pour soi de ne « pas être n’importe qui », ce n’est pas qu’il ne dise rien, mais ce qu’il dit, il le dit à travers soi, à travers l’opacité, la présence solide, la densité d’une ipséité, d’une individualité, d’une personnalité écrasante et qui, incarnant ce qui est dit, le dit en tant que telle. Ethos est, il est et dit depuis ce qu’il est. Il incorpore le message au point où le message et lui ne font qu’un, où ce qui est offert au public, ce n’est pas une voix dédoublant un réel antérieur à la prise de parole mais un corps qui est le fait, le réel, le dit, le message.

La logique n’inféode pas le corps, elle est le corps même, objet logique, mû par ses propres réglementations mécaniques, affranchi de cette sorte de « néant d’être » qu’est la vérité précédant l’avènement du corps devisant. Ethos se montre pour montrer, rien n’indique qu’il croie que quelque chose précède cette exposition de soi. Ethos émet, ce qu’il émet, c’est Ethos, ce qu’il dit, c’est ce qu’il est, il est avant tout un être qui est, sa présence est garantie de vérité, son corps authentifie : qu’il disparaisse et demeurera un doute sur la permanence de cette « vérité qu’il est ».

Ethos, au fond, dit Ethos, voilà ce qui importe à Ethos.

Il a ses rejetons, au champ politique moderne : Chirac, Mélenchon, Le Pen Marine, Joly Eva, Montebourg, Fillon, Valls, Mitterrand.

Ils ne sont pas les plus doctes, les plus généreusement pédagogues, ils ne sont pas non plus toujours les plus « lâchés », les plus stimulants, les plus ensorcelants de nos rhéteurs, l’adhésion qu’ils suscitent ne se fonde ni sur la culture du savoir apéritif ni sur celle de l’emballement charismatique mais à tout le moins s’essaient-ils à signifier du sujet ou plus exactement du masque, de la persona, qu’ils peuvent être conçus en politique comme l’exemple depuis lequel s’édifie le forum, le conseil, l’assemblée, le corps collectif citoyen.

Ils donnent l’illusion que quelque chose de quelque chose est atteint au moment de cette incarnation où entrent en symbiose et en émulation quelque chose et le corps du passeur de quelque chose, ce corps qui est peut-être ce quelque chose même…

Pathos a pour soi la dévotion à l’auditoire, le goût du public. Pathos est un « entertainer », un « show-man », il brûle les planches afin qu’on y danse. Ce n’est pas qu’il omette de dire, ce n’est pas qu’il omette d’être mais il est et il dit dans ce qu’il fait éprouver à l’autre. Il est dans l’autre. Il dit dans l’émotion d’autrui. Il dit dans les rires et les larmes de son auditoire. C’est l’autre qui dit pour lui, en quelque sorte. C’est la réception de son discours qui achève son discours, toujours ouvert, toujours offert à  sa complétion par son prochain.

La logique n’inféode pas le corps du diseur, elle est le corps de son public, objet sensuel et sentimental, producteur de sens depuis sens et sentiments convoqués par une voix, par un corps offerts, par une disposition à « sentir l’autre », à ouvrir le discours à sa terminaison par l’altérité.

Certes, l’émotion passée, demeure un doute sur la permanence de la vérité ressentie mais à tout le moins aura-t-elle fait son chemin et ce doute ne saura plus être celui du pyrrhonien : ce n’est pas que le public de Pathos doute qu’il y ait,  il doute désormais qu’il n’y ait pas, voici le gain.

Pathos, au fond, fait sentir quelque chose qui en dit long, voilà ce qui importe à Pathos.

Il a ses rejetons, au champ politique moderne : Villepin, Royal, Sarkozy, Copé, Le Pen Jean-Marie, Malraux, Duflot, Laguiller.

Ils ne sont pas les plus conceptuellement scrupuleux, les plus âprement instructifs, ils ne sont pas non plus toujours les plus personnellement substantiels, les plus continents, les plus cohérents, les plus conséquents de nos rhéteurs, l’adhésion qu’ils suscitent ne se fonde point sur une culture de l’analyse et de la construction du vrai, elle ne se fonde pas non plus véritablement sur la substitution au vrai inatteignable d’un corps « personnel »  qui en tiendrait lieu mais à tout le moins témoignent-ils de ce que le politique n’est rien sans l’adhésion intime de la communauté à la formulation d’une vérité du monde instable qui est aussi une proposition ouverte à sa considération par l’intime.

 Logos, Ethos, Pathos… trois inséparables compagnons à qui, cependant, manque aujourd’hui, cruellement, une égérie…

Car la pensée du vrai, la formulation de soi qui la vaut, l’appel à la communauté sensible qui l’y entraîne ont ceci en commun qu’ils sont devenus terriblement orphelins de cette inventivité libératoire à visée collective qui, seule, sait mettre au pas l’oppression douloureuse du vrai, de la personne et de l’émotion…

Logos, Ethos, Pathos, trois inséparables compagnons à qui, cependant, manque aujourd’hui, cruellement, une égérie, une muse…

La désoeuvrée, la regrettée Poïesis

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