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Billet de blog 4 janvier 2017

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Montebourg l'innocent (reprise de 2011)

Il n'est pas certain que la percée d'Arnaud Montebourg corresponde de façon stricte à celle de son programme. (1)

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Il n'est pas certain que chacun mesure de façon distincte les enjeux, les mécanismes de ce qui se présente au regard, à l'instinct, comme le produit d'une superbe, entre arrogance et panache, d'une superbe portée par une syntaxe qui, loin de l'offusquer, de se poser comme sa dénégation faussement modeste, la redouble.

Il n'est pas certain que chacun sache de quoi parle au juste Arnaud Montebourg mais quelque chose exsude de cette présence au politique qui en postule, à l'évidence tonitruante, la dignité comme aristocratique.

Arnaud Montebourg, c'est cela, semble-t-il, au regard politique français contemporain : le visage, le costume de la politique comme distinction, du projet politique comme défense et illustration fracassante de la superbe du superbe politique.

Arnaud Montebourg est parvenu à figurer « les superbes » du politique : son orgueil, sa beauté ingambes.

Si l'on ignore au juste de quoi il parle, l'on sent en revanche qu'il en parle depuis un amour fou, depuis une élévation intime du politique, depuis le sentiment qu'il n'est rien de plus olympien, de plus beau, de plus admirable que la pensée, que la critique des affaires publiques.

Il y a incontestablement une gourmandise du politique chez Arnaud Montebourg, une gourmandise presque enfantine et qui, de l'enfance, semble avoir conservé le goût de la vengeance de l'honneur bafoué des pères.

Voilà un enfant gourmand de politique et qui désigne du politique l'honneur en déroute, le désigne avec arrogance, avec fougue, avec enfance.

Cet Olympe aux mains des experts, ce temple envahi par les marchands, il en signale, farouche, la beauté perdue, la voix couverte, la voix éteinte.

Point n'est besoin de physiognomonie, point n'est besoin de spéculer sur l'étonnante correspondance entre le dehors militant et l'animation d'un regard comme retiré de soi-même en Arcadie.

Il y a infiniment d'innocence, les experts l'écrivent, le pensent et le disent, dans la position d'Arnaud Montebourg au champ politique.

Arnaud Montebourg est un innocent.

Quelle que soit son ambition de béjaune, sixième république, démondialisation, capitalisme coopératif, tutelle bancaire, open government, révolution industrielle verte, elle est de l'ordre de l'aliénation en discours, en programme, d'un refoulé enfantin, elle n'est pas responsable, elle est innocente, elle est aventureuse, elle voyage, elle songe...

Et cependant, elle inquiète...

L'innocent inquiète, il indispose, l‘enfant fait turbuler la donne adulte, le terrain expertisé, audité, le système rassis comme les « vieilles terrines » de Rimbaud et qui, s'il bourrelle, n'en demeure pas moins incontesté.

Le Lord enfant questionne et fait suer et choir un sens : « ceci dont vous me dites qu'il est le vrai et le bon, que ne vous est-il pas cause de bonheur ? ».

Le front innocent, l'insolence du « rhéteur de sept ans » tend un miroir au sage et ce miroir désigne à son attention troublée le paradoxe de sa pratique.

Et si le politique, dit l'enfant, consistait à fabriquer le sens d'un mouvement commun dont l'eschatologie serait l'évitement de la souffrance commune et la téléologie son atténuation ?

Et si le politique, dit l'infernal morveux, (si proche, au fond, du Rupert Macabee d'Un Roi à New-York de Chaplin) consistait à penser le devenir commun comme une construction relative et ambitieuse de l'esprit visant au meilleur ?

Et si la médiocre résignation, et si la prudence informée, et si l'assomption mélancolique du pire étaient des formes vulgaires du politique qui en embourgeoisaient les hauteurs splendides ?

Et si la politique comme construction détachée d'un bien, d'un vrai métaphysiques, était affaire de songe éveillé partagé, d'adhésion à un désir du meilleur ?

Et si l'horizon du politique n'était point l'accoutumance au redoutable moins pire mais l'obtention du délectable souverain bien ?

Et si le politique était ce qu'il devrait être, et s'il cessait de se satisfaire d'être son propre avatar « séculier » émollié et souffrant ?

Et s'il ne se bornait pas à être la politique et en particulier sa forme contemporaine malade, subordonnée à ce cancer du politique (comme entraînement progressif d'un corps agencé par l'adhésion à autrui) qu'est apparemment, évidemment, expérience faite, la subdivision à l'infini du corps social en initiatives singulières, en dynamismes pour soi ?

Et si le politique était « superbe », dans l'exception esthétique et morale du terme, s'il était cette force rendue supérieure par la transcendance du singulier, par son mépris fondamental du sujet persévérant pour soi depuis soi comme organe moteur du bonheur citoyen ?

Et si le politique était un Verbe qui enchante pour tous ?

Et si le politique était un logos enchanté qui, loin de se corrompre au contact de ses formes, en faisait litière pour en soustraire d'autres au néant quand elles seraient devenues la terne possession, la faiblarde propriété du « monde tel qu'il va » et de ses partitions vaines...

Il n'est pas certain que la percée d'Arnaud Montebourg corresponde de façon stricte à la percée de son programme. Mais il est certain qu'elle est la conséquence d'un bel appel du corps électoral à une résurgence, à une reverdie du politique comme « architecture d'un rêve pour tous ».

(1) : Article paru dans Mediapart le 11 octobre 2011

Illustration 3

(Un recueil des articles publiés dans ce blog paraîtra le 25 février 2017 chez Gwen Catalá Éditeur, en partenariat avec Mediapart.)

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