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Billet de blog 4 mars 2013

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Daniel Darc : un personnage en quête d’auteur

Il est des êtres expulsés tout vivants de telle matrice dans une vie qui n’est pas leur scène, pas leur plateau. 

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Il est des êtres expulsés tout vivants de telle matrice dans une vie qui n’est pas leur scène, pas leur plateau.

Il est des êtres dont l’existence est un corps tendant ses bras à son créateur en lui demandant d’être un auteur attentif à ce que son parcours soit congruent à sa vie qui brûle -se brûlant- d’y être accueillie comme chez elle, lui enjoignant, en somme, orpheline au présent rétif, de réserver à sa marche un présent hospitalier.

De tels êtres, Rimbaud, Antonin Artaud, Charlie Parker, Jack Kerouac, Nicolas de Staël, Chet Baker, Janis Joplin, Nick Drake, Ian Curtis, Guillaume Depardieu, Patrick Dewaere, Daniel Darc, tant d’autres, il est coutume de dire le décalage, la marge, l’aspiration têtue à la disparition.

Cette coutume ne vise pas au centre : il ne s’agit pas pour eux de renoncer à l’existence mais de la supplier d’être une vie, c’est à dire d’être le lieu où se vit une vie qui soit la vie vraiment, cette vie qu’appelle la vie.

De Daniel Darc, de son œuvre brève, sporadique, folle d’espoir, l’on dira qu’elle fut celle d’un corps souffrant, d’une âme en proie aux tourments de l’impossible envol, d’un regard assombri par l’absence d’un azur au monde. Et l’on ne dira vrai que si, par cela, l’on entend qu’elle fut l’œuvre d’un corps, d’une âme, d’un regard faisant patience, guettant l’illumination, l’épiphanie d’une vie à vivre, d’une vie à vivre depuis la vie, d’une vie conçue par un auteur cédant à la supplique de son personnage d’être enfin introduit sur une scène taillée pour que sa vie soit vie.

 Le « garçon », le « mannequin derrière la vitrine », la « balle perdue », la pluie qui tombe, tout cela, au fond, chantait la patience, chantait l’espérance d’une vie à rencontrer, de l’apparition du plain-feu d’une scène où vivre sa vie.

 « Il est dangereux de se pencher au dedans », « toi, tu m'attends moi, je m'enfuis », « la forme de son corps/ne veut rien dire pour moi », tout ceci dit la vie qui patiente, la vie « réservée », la vie en attente de ce que le corps glorieux de quelque chose qui soit la vraie vie revenue vienne donner à l’assis, au refusé, l’occasion d’un envol parmi nous.

 Et cette attente absente, elle cantonne, elle fait du dehors une farouche étrangeté, quelque chose en et sur quoi, en effet, il est dangereux de se pencher, quelque chose qui est dans le même temps le pis-aller et le cauchemar du vivant en attente de son auteur.

« Je me demande comment quelqu’un comme toi »…

Daniel Darc aura certes chanté l’amour, mais le sublime, cet amour sublime de la vie qui est à la vie l’hôte doux qui la guide chez soi.

Il aura chanté le malheur, le supérieur, l’orgueilleux malheur de celui qui, loin de pardonner à l’existence cela qu’elle se trompe en se prenant pour la vie du vivant, espère, l’œil à la lucarne, qu’une vie soit en marche dont un auteur tarde juste un peu à signaler la présence ici-bas.

Ce n’est pas la « voix étrange » de Mallarmé évoquant Edgar Allan Poe qui s’est tue il y a quelques jours, c’est la voix commune du vivant en quête de vie, du personnage en quête de cette histoire d’une vie qui lui soit purement l’enchantement d’une vie, de ce personnage dont le cœur crève d’attendre et de ne point renoncer, au cœur de la foule qui marche et qui renonce, à l’ambition d’une rencontre.

Gageons que la vraie vie de Daniel Darc, qui n’était peut-être point de ce monde, est venue, répondant à l’appel de ce vivant superbe, chercher le garçon.

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