Au premier plan, le personnage au manteau blanc, coiffé de rose ardent, expose avec une virile évidence la gêne des sujets, de l’indifférenciation subjectale en présence.

Agrandissement : Illustration 1

La Conversion de Marie-Madeleine, vers 1546-1548, huile sur toile, 117,5x163,5 cm, Londres, The National Gallery
Son regard est vaguement posé où il ne faut pas, mais pas loin, pas très à distance du point d’attention exigible. L’on sent qu’il obéit vaguement, comme pour obliger, à la commande mimétique, à l’exigence narrative. On lui enjoint de s’intéresser, il s’intéresse. Pas au point, toutefois, de repérer que ce qui importe est le visage extatique de Marie-Madeleine, peut-être aussi la sainte face de Jésus, mais pas, en tout état de cause, le genou de la convertie…
Et dans le temps même où, par principe, sans conviction, mal, le barbu au turban rose accède aux exigences de la représentation, son état de corps, son état tordu, contrarié, de corps, signale qu’il est tout au dehors, qu’il est tout à la débandade, à l’échappée. Il obéit se refusant. Il regimbe. Il est ailleurs.
Il est de passage sur le théâtre : « ah bon, bien bien, bonsoir. »
Et la cervelle luminescente qui lui tient lieu de couvre-chef vous observe, isolée du crâne, presque comme chez Bosch, palpitante et célibataire, évacuée, soustraite à son coffrage d’homme, infiniment plus spectaculaire que la joue discrètement rosie de Marie dont il semble, c’est une autre affaire, qu’elle soit elle aussi victime d’une distraction, celle de son sauveur qui, lui non plus, ne regarde pas où il faut, son nimbe tenu à la longe par le refuge salvateur, par la loge où dégueule le fugitif agrippé à la colonne.
Voilà un plateau étrange, en effet, où un grand corps unique se pare de mille têtes pour se débiner, pour faire retraite, pour échapper à son sort théâtral, pour quitter la partie à la pièce imposée, tout à fait comme les six personnages de Pirandello.
Elles font un effort manifeste de la paume et du doigt, les siamoises sur lesquelles repose Marie, pour lui indiquer que quelque chose se produit, qu’Il est bien là, que c’est par ici et pas par-là, que c’est, en somme, « ici que ça se passe », tandis qu’il promène distraitement son regard sur son épaule ou sur son coude, où l’on voudra mais pas où il faut, l’enfant Jésus.
Tandis que son regard évite le regard.
Car la cervelle, l’agitation d’un entendement, n’a pas été accouchée par le seul crâne du barbu en blanc du premier rang…
Les regards qui sont fichés en scène le disent avec autant d’insistance que les corps disent la tension vers la fuite.