Je repense à Le Loup et le renard, cette fable lumineuse de La Fontaine.
Se promenant la nuit, le renard rencontre un puits.
Au fond du puits, un quartier de lune se reflète.
Prenant la lune pour un fromage, le renard s'assied dans l'un des deux seaux faits pour descendre alternativement puiser l'eau.
Il gagne le fond du puits, découvre son illusion, mais il lui est devenu impossible de remonter.
Il est prisonnier du puits, victime des facéties de la Nature.
Comme le renard se désole, le loup approche du puits. Il se penche sur la margelle.
Le renard désigne au loup le reflet de la lune « Bienvenue, viens partager ce fromage avec moi, il en reste une part ».
Le loup s'assied dans le second seau qui descend au fond du puits et permet à celui dans lequel est assis le renard de remonter.
La moralité de la fable est limpide : la Nature nous trompe, le réel est le règne des apparences, la vérité n'est qu'un décor, l'évidence est un mystère.
L'homme, apparence parmi les apparences, est victime de la farce d'un créateur -ou d‘une apparence de créateur- moqueur.
Même celui qui crée l'apparence, le conteur, est victime de la farce.
Mais il est au moins capable de s'amuser aussi, et de ne pas être seulement le contemplateur passif des plaisanteries de la vérité. Il est renard et pas loup, sa capacité à faire fiction en fait une sorte de dieu immanent, de dieu terrien, de créateur « physique »-et non métaphysique- du monde.
Aujourd'hui, la contemplation est reine. Nous contemplons.
Nous contemplons des vérités produites au-delà de nous, économiques, politiques, écologiques, des vérités qui sont autant d'apparences produites par autrui.
Nous voyons peut-être le fromage où il y a la lune.
Nous avons renoncé à faire nos histoires, à faire notre Histoire, à opposer des fictions aux fictions, à nous emparer de la maîtrise des apparences, à changer la vie.
Nous contemplons les vérités d'un renard sans circonscription, d'une option mondiale grimée en irréfragable réalité : nous sommes loups.
Nous observons des visions, nous n'en formons pas.
Si le temps contemporain est totalitaire, c'est qu'il a démonétisé la fiction, l'invention du sens, au profit de l'action, de la réaction et de l'observation, au point que nous ne le pensons pas capable de s'abaisser à être un conteur, au point que nous ne lui faisons crédit qu'en tant qu'il nous semble voyant.
Le renard peut rire à loisir de nous voir assis au fond du puits, révisant, pour les mois à venir, le projet présidentiel du Parti socialiste...