Pour Henri Barande
“L’Art contemporain est nul” assénait Jean Baudrillard dans un article de 1996. Peu importe que l’on ait bien ou mal compris cet article, peu importe qu’il s’y dise une chose ou son contraire. Le fait est que son titre est resté dans l’Histoire de la critique des formes comme un coup de fouet d’autant plus cinglant qu’il était l’oeuvre d’un militant de la création contemporaine, soudain renégat... c’est injuste, mais c’est ainsi.
Posons que l’art contemporain est nul, qu’il l’est sur le plan moral, qu’il l’est sur le plan physique, qu’il est lamentable et qu’il est absent. Comment se peut-il alors qu’il soit devenu une valeur économique-refuge, l’objet de placements, de spéculations financières, un or plus or que l’or, une pierre plus pierre que la pierre ? Comment la modernité a-t-elle pu faire de la nullité la valeur par excellence, du néant un bien puissamment monnayable ?
C’est que l’art contemporain est la vie même. C’est que l’art contemporain et la vie sont devenus une seule et même affaire. C’est que l’être au monde et l’art sont devenus indistincts. L’économie contemporaine de l’art contemporain signale ceci : ce qui fait valeur, ce qui est valeur à l’âge contemporain, en post-modernité, c’est le fait d’être au monde, le fait, dirait le philosophe Heidegger, d’”être-là”... La vie n’a plus besoin de se reformuler, de s’initier à sa reformulation, de se penser, de se placer à distance d’elle-même, elle ne fait plus valeurs de ses miroirs, de ses images, ni même de son spectacle : être là est tout, le plus longtemps possible (c’est à dire sans doute le moins intensément possible)...Si je suis là, c’est que vaux, je vaux parce que je suis là, mon geste est ce que je vaux, mon mouvement au monde est ce qui vaut, je suis oeuvre et poème, mon oeuvre est mon être au monde, mon geste tire sa valeur de la perpétuation de ma présence au monde qui est valeur.
Vous qui inventiez la vie, changez de métier : soyez-en !!!
Un restaurant japonais à Porto Alegre : une jeune serveuse vient à ma table me demander de lui écrire “je t’aime” sur un bout de papier : elle veut dire “je t’aime” en français à son fiancé. Enfin un moment rare, de vie ou d'art, d'art ou de vie : je vais pouvoir vendre plus cher que cher ces dernières lignes...