
Face à l'organisation toute masochiste par la politique de la subordination du politique qui marque l'époque, la question du positionnement « campaniliste » de chacun, de l'angle partisan depuis lequel s'observe le clocher est devenue, on le sent, terriblement secondaire.
Ils sont nombreux les événements contemporains qui contribuent à nourrir l'angoisse aigüe ou ténébreuse de l'électeur, à quelque bord qu'il ressortisse. Leur variété obère le jugement, contraint l'imaginaire, alentit l'initiative.
Il peut sembler au sujet citoyen qu'à la complexité douloureuse de la manifestation de son temps le remède échappe au « pauvre en esprit », à celui qui n'est point expert, à celui, en somme qui, comme l'idiot grec, « pense simple ».
Guerres en cours, crises économique, monétaire, sociale, morale, sociétale, écologique, recomposition de la carte géostratégique, tout ceci fait sens à soi seul, tout ceci fait sens et fait arborescence, tout ceci semble constituer une marqueterie dont la conception claire et distincte est inaccessible.
Tout est fait pour le rappeler au citoyen : l'omniprésence médiatique des experts, l'usage par lesdits d'une langue « instrumentale » dont le lexique ésotérique est devenu une sorte « d'inquiétante étrangeté », la répartition stricte des savoirs qui rend la complexité du monde agressive, la réactivité pure des élus qui les emprisonne dans une façon de situationnisme, de « cubisme analytique » de gouvernance, en somme d'inféodation absolue à l'événement, la tentation digressive du compte-rendu médiatique qui, ne pouvant rapetasser le manteau d'Arlequin d'une époque erratique, en venir rabouter les pièces, proposer la synthèse à la fois apaisante et stimulante à qui ne comprend plus dans quelle argile est modelé son espace-temps, propose non plus des sens mais des parenthèses anxiolytiques à un entendement en déroute : tel scandale financier, sexuel, telle querelle de têtes ou de masques, de « personnes »...
Des Politiques en proie au réflexe, des experts borgnes au pays des aveugles stupéfiés, des commentateurs digressifs, des citoyens abasourdis par une profusion sans ordre et qui bourrelle, voici ce que rencontrerait le Micromégas de Voltaire, venu de l'étoile Sirius en villégiature près notre « village-monde »...
Or, il en va, à « penser simple », de la variété des phénomènes d'ordre humain comme de celle d'un paysage. Qu'on en invente la cohérence, qu'on en conçoive la disposition, qu'on cesse d'en être l'esclave ou la dupe par subordination du regard à ses miroitements, qu'on en fasse l‘architecture d'un lieu, le rythme d'un temps, qu'on l'ignore suffisamment pour en construire, dans l'assomption de l'arbitraire de cette construction, la signification, le sens, la portée, qu'on fasse œuvre, pour tout dire, d'interprétation à plein titre du monde et voilà que le monde est monde et, plus autant qu'avant la distraction nécessaire à son interprétation, une disparate de phénomènes.
A celui qui observe, entend, réagit et qui relate la complexité du paysage doit s'opposer avec force celui qui invente, conçoit, celui qui voit.
Au biologiste doit s'opposer le peintre, au champ humain.
Au rapport, le poème.
A l'expertise, le politique...
L'époque meurt d'angoisse face au multiple. Elle s'est convaincue que ce qui relevait de la « part commune » était entrave à la liberté du sujet de persévérer dans son être (Spinoza), que le sens commun donné était contradiction fâcheuse au sens individuel expérimenté : elle fait, en guise d'expérience, celle affreusement douloureuse de ce que la réduction de la construction du sens d'une vie à son développement singulier, loin d'être un salut, est accès à une façon d'obscur célibat, de solitude aveugle...
C'est, semble-t-il à une réhabilitation de ce qui est commun aux choses, aux êtres, de ce qui au monde est un qu'il convient d'œuvrer non pas tant par souci philosophique ou moral que par souci thérapeutique : le moment semble venu de soigner par la synthèse, l'entendement qui assemble, la pensée qui rassemble, le projet qui agrège et fédère.
Le temps de la compréhension du singulier a peut-être eu lieu, peut-être s'agit-il qu'il fasse place à celui de la réinvention du commun.
Le temps de l'examen timide par la politique des paramètres de son exercice possible doit peut-être faire place à celui de l'imposition par la politique de son empire inventif, de sa vision, fût-elle fondée sur l'arbitraire d'un « rêve de monde ».
Le temps est peut-être venu pour la politique de reprendre le chemin du politique.
Les élections présidentielles françaises de 2012 verront s'affronter, on l'espère, des conceptions, des inventions, des intentions d'emprise, de droite et de gauche.
L'instauration de primaires au sein du parti socialiste était sans doute un signe méthodologique donné à l'électeur, fût-il ponctuel, de restauration d'un souci de la mise en commun, de l'abandon de la soumission radicale au tropisme individuel du candidat au cœur de la donne politique.
Quel que fût l'angle partisan depuis lequel on observait le clocher, l'on ne pouvait que se féliciter de ce qui relevait pour le coup éminemment du politique...
Ceci était bon, allait dans le sens de la recherche d'un remède à l'angoisse de celui qu'opprime partout la présence du multiple et l'absence du commun.
Et Ségolène Royal fut, daubant sans frein ni raison sur ses concurrents (1), Ségolène Royal dont on ne saurait dès lors imaginer un seul instant qu'elle puisse jamais porter remède aux maux d'un temps malade de détailler ses solitudes...
(1) : dont l’on s'étonnerait presque (et se réjouit) qu’ils ne réclament point son éviction de la primaire et, pourquoi pas, du Parti socialiste