Que Jérôme Cahuzac ait possédé ou possède un compte en Suisse n’est sans doute pas ce qui le caractérise le plus utilement dans le panorama, le nuancier, le bouquet politique.
Il est d’ailleurs vain et dangereux d’ergoter sur cette question en un temps qui a opté pour une conception du droit profondément réactionnaire : celle qui consiste à occuper les blancs, les silences de la loi en les comblant de parole culpabilisante, en instaurant de ce fait, en la vie, un procès permanent à la vie, sur un mode tout médiéval.
Tant qu’il ne sera point condamné, Jérôme Cahuzac sera innocent ; Nul n’est besoin d’emplir de parole le silence du droit s’agissant de cette affaire, la présomption d’innocence doit en l’espèce prévaloir comme un silence bon, provisoire mais bon, du droit.
Il n’est pas interdit de s’autoriser un bon vivre par silence du droit, jouissons du silence du droit.
Là où le droit fait silence, jouissons.
Là où le droit se tait, laissons-le à son silence pour jouir.
Ne laissons pas le droit parler outre le droit, faire de toute la vie, sans le vouloir, une ordalie, une épreuve, un « test ».
La question de la culpabilité de Jérôme Cahuzac est donc une question reportée puisque sa résolution ressortit de plein droit au droit.
En attendant la parole du droit, jouissons, et jouissons notamment du spectacle de l’étrangeté de Jérôme Cahuzac : elle vaut le détour.
Du bouquet politique, l’on ne peut nier qu’il soit composé de fleurs diversement policées.
Mais toujours policées.
La flore politique est dopée au surmoi, l’on y joue le plus clair du temps une partition « ouverte », l’on y compose pour séduire, l’on s’y présente pour le bonheur ou à tout le moins l’adhésion postulés de l’électeur, du parti ou du chef. Cette séduction est bonne, qui fait d’autrui un co-constructeur de ce qu’on est, qui l’associe à l’édification de cet hybride qu’est le représentant, entre sujet physique et moral. Il y a une générosité, une vertu, une sagesse dans cette dévolution de la reconstruction du moi à l’autre, l’électeur, le parti ou le chef ; Cela n’est pas vice, cela est logique d’une métamorphose du sujet en sujet politique.
Cette reconstruction du moi qui n’est pas vraiment un narcissisme -puisque l’appel y est bien un appel à la métamorphose par le regard, pas à un regard passif, à un pur miroir- prend des formes variées : le moi peut se refaire en neutralité, urbanité, expertise, bonhomie, brutalité, transparence, sincérité, impétuosité, proximité, intrépidité, prudence,etc.
Les fleurs politiques, recomposées par le regard de l’agora depuis le matériau proposé par le sujet politique, forment une flore d’autant plus munificente que le regard du sujet, subordonné au regard architecte de l’électeur, du parti ou du chef sur ce regard, le conçoit comme une variété.
Le totalitaire limite l’assiette de la reconstruction du moi politique par aveuglement sur l’homogénéité du regard du peuple conçu comme une identité cohérente, une masse monochrome.
Le démocratique repose sur le fantasme et le goût de la diversité de ce regard.
Quoi qu’il en soit, ils sont rares, ceux des sujets politiques, des sujets en politique, dont la persona, dont le masque, n’est pas le produit conjointement construit par le regard de l’électeur, du parti, du chef et par celui qu’ils portent sur ce regard.
Ils sont rares, les hommes politiques, elles sont rares, les femmes politiques, qui, dans le plein exercice de leur fonction, ne travaillent pas à construire un sujet moral depuis le sujet physique en faisant jouer l’appareil des modalités, la dialectique du regard sur soi et sur l’autre.
A dire vrai, ils sont si rares qu’à l’exception de Jérôme Cahuzac, l’on n’en voit pas, au bouquet contemporain.
Etrange Monsieur Cahuzac : voilà un sujet politique dont la férocité, la médiatique sauvagerie, l’inouïe arrogance télégénique paraissent reposer sur la litière de toute préoccupation du regard d’autrui, de toute velléité de co-construction d’un moi politique.
L'ancien chirurgien esthétique, l'ancien « sculpteur de chair humaine » Jérôme Cahuzac (1), comme s’il connaissait par trop la mécanique de la réfection humaine, comme si son entrée en politique, en 1988, constituait un renoncement résolu à une existence antérieure et comme une apostasie, semble se refuser à entrer dans la danse commune.
Mystérieux Docteur Cahuzac : voilà sans doute le seul sujet politique en activité dont toute l’attitude, dont toute la posture semble témoigner d’un désintérêt souverain pour le regard de l’autre, de l’électeur, du parti, du chef, d’un désintérêt qui, plus que de l’arrogance vraie, semble procéder du constat que la refonte, la « chirurgie éthique » du sujet politique par son auditoire est une cuisine cosmétique trop visitée, un livre trop souvent lu.
Mystérieux Docteur Cahuzac, qui semble faire en tout lieu le pari que l’action politique ne suppose pas de contrainte particulière relevant de cette façon de « narcissisme dynamique » dont font preuve ses collègues.
Mystérieux Docteur Cahuzac, qui semble faire le pari que l’action parle pour soi, parle de soi et qu’il est loisible d’envoyer promener le surmoi, le moi fabriqué, comme le symptôme vulgaire d’une légèreté, d’une frivolité dispensables.
Mystérieux Docteur Cahuzac, qui semble observer ses collègues comme autant de chalands à liftings.
Et ce mystère fascine, du Docteur Cahuzac.
Et ce mystère inquiète, comme il fascine.
Il fascine comme fascine toute forme d’incorruptibilité du sujet comme sujet, comme ébahit tout renoncement drastique à la concession de soi à l’image de soi formée en autrui.
Il inquiète en tant que l’irruption au forum, en politique, d’un sujet refusant aussi vigoureusement, une fois de plus aussi sauvagement (relativement à ses pairs) cette concession au regard d’autrui tend, d’une part, qu’on le veuille ou non, à humilier le regard d’autrui, à le châtier et d’autre part, à le tenir à distance de la construction du sujet représentant.
Il inquiète, en somme, en tant qu’il semble procéder d’un déni démocratique et, au fond, d’une conception homogénéisante, c'est-à-dire sourdement totalitaire, du corps citoyen.
Que Jérôme Cahuzac ait possédé, possède, un compte en Suisse, la justice le dira, qui sait, à son heure, prendre la parole, c’est une affaire d’importance.
Mais c’est une affaire infiniment plus importante, sans doute, que celle du positionnement du ministre du budget, non pas de son positionnement politique mais de son positionnement « au politique ».
(1) cf le romancier Gustave le Rouge et son Mystérieux Docteur Cornélius de 1911-1913, dont Blaise Cendrars fit, le découpant, son Kodak (Documentaire) de 1924.