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Billet de blog 12 janvier 2015

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Pour une pensée impure

La valse emporte comme une mer. il n'est pas aisé d'y concevoir. quand la tête tourne, elle entraîne le jugement, quand "les tempes grondent" au rythme du coeur, elle est un coeur qui bat.

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La valse emporte comme une mer. il n'est pas aisé d'y concevoir. quand la tête tourne, elle entraîne le jugement, quand "les tempes grondent" au rythme du coeur, elle est un coeur qui bat.

Le temps de l'entendement est si peu venu qu'il ne porte pas à la poitrine ce "chien noir" qui y ronge le sujet coupable de s'abandonner à ne pas voir.

Depuis l'assassinat de Charlie, depuis cette chavirante rédemption collective qui dit de l'espace national qu'il n'est point ce qu'on craignait qu'il fût, ce corps malade de la surévaluation de sa déprime, en imputant à telle identité d'autrui la responsabilité urticante, depuis cette contradiction portée par la vie idiote à la vie idiote, en somme, l'on se prend à penser que l'on n'a pas pensé et qu'il était bon que l'on n'eût pas pensé.

L'on se prend à penser que l'on n'a pas pensé les déterminations de crime, que l'on n'a pas travaillé à diluer la faute dans les raisons de la faute, l'on se prend à penser qu"on a été une brute, peut-être, que l'on a été l'enragé mécanique en qui le raptus fait loi.

L'on se prend à penser que l'on n'a pas pensé à nuancer d'un peu de rigueur herméneutique son enthousiasme, sa vocation aux larmes, au spectacle d'un consensus national peut-être pas si profondément, légitimement consensuel, enthousiasmant, émouvant.

Et l'on se prend à penser que cela était bon, que cela, peut-être, était penser, que penser était peut-être aussi reconnaître comme bonnes une rage et une joie dont la pensée est bien l'immanence, la critique le fondement intime, ancré, consubstantiel, insécable.

L'on se prend à penser qu'il n'y avait peut-être pas lieu de prendre ce recul qui arrache à l'émotion immédiatiste ce qu'elle porte bien de matière de pensée.

L'on se prend à penser qu'est peut-être le misérable, au sens de Pascal et d'Hugo, celui qui ampute sa rage et sa joie, pour tirer de cette amputation telle forme pure de la pensée, vierge, inaltérée, inaliénée, de leur substance de pensée vraie.

Viendra le temps de l'analyse, nous dit-on, viendra le temps de la pensée pure, dégagée de sa gangue sensible, débarrassée, affranchie, de sa souillure d'émotion, lessivée...

Et si ce temps du recul était plutôt celui de l'assomption, de la reconnaissance en soi comme bonnes de cette émotion intelligente, de cette sensibilité morale, de cette rage et de cette joie irriguées par le courant puissant d'un sang ardent des valeurs que fonde la pensée ?

C'est à ce prix que, face à ce combattant dont la brutalité est l'immanence d'une détestation de soi et d'autrui, s'élèvera non pas la nuance complexée, impuissante, désarmée, d'une pensée fraternelle orpheline de colère et d'enchantementr mais cette radicalité militante, féroce, au rendez-vous et au niveau énergique du défi proposé, dont l'amour de soi et d'autrui est  tout à la fois la veilleuse, la flamme vive, l'âme, l'esprit et le stratège.

Dessin de Morgane Coals

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