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Billet de blog 13 février 2012

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Présidence Sarkozy : état de droit, règne du fait

L’hypothèse de l’absence de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle prend chaque jour plus d’épaisseur. Soit : cette absence ne ferait qu’apporter la preuve de l’incapacité du Front national à convaincre de son caractère républicain ces édilités dont le monde politique français s’accorde à manifester l’éminente, la supérieure représentativité, la "proximité" avec l’opinion. La question demeure en tout état de cause sans importance pour l’heure, en tant que telle.

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L’hypothèse de l’absence de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle prend chaque jour plus d’épaisseur. Soit : cette absence ne ferait qu’apporter la preuve de l’incapacité du Front national à convaincre de son caractère républicain ces édilités dont le monde politique français s’accorde à manifester l’éminente, la supérieure représentativité, la "proximité" avec l’opinion. La question demeure en tout état de cause sans importance pour l’heure, en tant que telle.

Elle est en revanche, c’est là son importance actuelle, un formidable révélateur du mode de gouvernance élu, depuis l’orée de son exercice présidentiel, par Nicolas Sarkozy.

Le philosophe Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, évoquant son professeur Jean-Paul Sartre, furtivement enseignant de lycée, rappelait récemment les premiers mots du jeune agrégé rencontrant ses élèves : « L’état de droit est du côté de ce qui doit être, l’état de fait, de ce qui est ».

Etat de droit, la république de France ? Oui. Assurément. Corpus de valeurs désignant un chemin, fondant une identité et une téléologie collectives et depuis toujours métisses reposant sur l’adhésion à un « grand dessein ».

Définissant ses exceptions, ses « coups de canif dans le contrat » comme tels.

La France est un état de droit au sens de Sartre, un état dont le rayonnement intérieur et extérieur se fonde sur l’universalité affirmée (sur l’universalisme souvent arrogant) d’un « qui doit être », d’un sens.

Or, voici que Marine Le Pen s’annonce absente et qu’un sondage (au reste, rapidement contredit par un autre sondage) souligne l’intérêt de la disqualification de la candidature frontiste pour celle du président. Aussitôt sonne la charge des « fidèles émoucheurs » (1) du candidat candide… « civilisation inégales »…puis celle de "l‘amateur des jardins" élyséen soi-même, envisageant dans Le Figaro, entre autres indices de sa souveraineté issue de celle de la démocratie représentative, un referendum sur le droit à indemnisation des chômeurs…Aussitôt s’illustre le goût immodéré de la droite réputée modérée pour la vulgate frontiste de la division, du salut par la stigmatisation et l’amalgame, de la salvation narcissique par le dénigrement pervers de l’autre…

Ceci porte atteinte à l’état de droit, au corpus de valeurs universalistes français, au sens, au « ce qui doit être » en république française millénariste façon laïque ?

Qu’importe ?

L’état de droit est, sous Nicolas Sarkozy, le féal de l’état de fait.

La politique du gouvernement Sarkozy est une politique sinon réactionnaire, du moins réactionnelle.

Quasi purement.

Elle se soucie peu de fonder ou de nourrir une identité des valeurs, une vision collective du monde, de faire sens, d’identifier une ipséité et un devenir collectifs.

Elle se moque d’être quoi que ce soit qui vaille politique, circonscription d’une polis.

Elle réagit.

Elle soumet le droit au fait, le politique à la politique, le long temps à l’instant, la vision au réflexe, la connaissance à la sensation, le cognitif supérieur à l'affectif immédiatiste, le sens au bon sens. En un mot, elle est inculte. Elle ne voit dans le monde, dans l’époque, dans la situation, qu’un stimulus, qu’une discontinuité provocante, elle fait l’épargne absolue de la pensée (de la pesée) critique appliquée à la cité, elle est pré-kantienne, elle n’interroge pas le monde et sa lecture pour leur tenir la bride. Elle met au service de l’errance, de la danse de Saint-Guy de la « réalité », toute son irréfragable énergie.

La cité Sarkozy n’est pas projet, économie, livre à venir, dispositif, agencement du monde, elle est le monde même. Elle va à vau-l’eau avec l’autorité de la botte (de sept lieues) piétinant l’ouvrage, du philistin giflant le sage, du cancre flétrissant le maître.

Le gouvernement Sarkozy aura marqué l’apogée de l’exercice inculte du pouvoir, l’apogée de l’omnipotence de l’impensé tactique, du renoncement bonhomme à la formulation stratégique.

Rien ne nuit tant à une crise que la mise en crise de cette crise, que la production d‘une critique de cette crise, que l’aménagement courageux d’un écart autorisant une conception de cette crise, écart depuis lequel se forment et se développent des protocoles palliatifs.

Ceci est de l’ordre du droit, ceci est de l’ordre du politique.

Or, la crise n’aura été, sous Nicolas Sarkozy, que l’alibi d’une succession ébaubie de réflexes contradictoires et revendiqués tels au nom d’un pragmatisme qui n’est, au fond, qu’une paresse de l’idée. Les mesures se succèdent, chacune solution de continuité de la précédente, au fil capricieux de la marche de l’événement-roi.

Foin des think-tanks, vive la « cellule riposte »…

Ainsi s’instaure un empire du fait.

Certes, l’on concèdera au gouvernement Sarkozy telle conception de la voix de l’Europe, de la dignité des peuples, ceci ne peut lui être ôté. Mais la présidence française de l’Europe, l’affaire géorgienne, l’intervention en Libye ne font que souligner, comme des exceptions une règle, la superbe vacance de conception politique du dineur du Fouquet’s.

La pratique du pouvoir du gouvernement Sarkozy demeurera aux yeux de l’histoire clinquante et inepte, brutale et creuse (comment ne pas voir, par exemple, dans l‘usage intempérant du mot « folie » par le pouvoir une dénégation de la sienne propre, qu’il pressent, cette « folie » qui est, étymologiquement, un vide, une vacuité de pensée ?), martiale et bête, primesautière et inculte, énergique et velléitaire, sans doute aussi sincère qu’inconséquente, « simple », en somme, innocente, c’est à dire politiquement nocive, méchante (mes cheante, c’est à dire « tombant mal »), anxiogène.

Marine Le Pen éliminée ?

Nous verrons.

En tout état de cause, l’hypothèse de l‘absence au premier tour de l’égérie bleu de nuit aura bel et bien fonctionné comme l’une des dernières occasions pour le pouvoir en place d’affirmer sa farouche incurie s’agissant d’illustration du politique, mieux, de la...civilisation.

(1) : voir L'Ours et l'amateur des jardins de La Fontaine.

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