L’apéritif horizon social-démocrate est enfin atteignable…mieux : ses terres rassérénantes sont en vue.
La probe, l’austère subordination de l’individu gouvernant aux milles nuances de gris de sa tâche, l’attique, la parpaillote inféodation de l’obscénité d’une option politique marquée aux petits pas de la réforme forcément juste -puisque centrale- est en marche radicale…
Le politique gestionnaire incolore a trouvé son petit père timonier : Jean-Marc Ayrault.
Face à la figure du Premier ministre, incarnation de la belle mediocritas, de la prudence antiques et classiques, du mode mineur fondé en concentration sur l’agenda journalier, tout est démesure, tout est hybris.
Une chose est d’être normal, autre chose est de pousser les feux de la douche tiède jusqu’à faire passer le normal pour l’impudique, l’ambition politique légitime, le dessein attendu, pour lubies de vibrions.
Or, Jean-Marc Ayrault est bien ce « normal »-là, auprès de qui tout est tératologique, fou, impétueux, outrecuidant, outré, de ce qui n’est au fond que politique.
Voici que le jeu s’inverse, que le corps doctrinaire et le verbe courts en quoi le dieu Norme a rencontré sa forme politique terrestre tiennent lieu, au coeur du paysage politique, d’exceptions glorieuses.
Or, si l’excès nerveux, le spasme, la névralgie du Président Nicolas Sarkozy pouvaient et devaient sans doute inquiéter, qui rapportaient le rythme politique à celui des foucades d’une âme torrentueuse et contrariée du dedans, la bonace lénifiante, l’aveuglement téléologique, le renoncement à la vision, à ce verbe qui entraîne au forum un peuple sidéré par l’angoisse du devenir, le retranchement de tout pas audacieux, la crainte affichée de tout écart utopiste, l’enlisement de la Cité imaginaire -vers quoi chemine sans doute une gauche digne de ce nom- dans les sables mouvants d’une pensée empêchée, frileuse exprès, tout ceci est également de nature à inquiéter.
Si la danse de Saint-Guy impavide est le risque du politique qu’elle soumet à l’irrésolution du temps, la ronde immobile, timorée, est un autre risque du politique : le pic-vert et l’autruche en politique ont ceci en commun qu’ils ne créent ni n’éveillent la Cité à venir mais subissent le joug de ses aïeules saumâtres.
Or, un ordre est mort, celui du songe étatiste, son meurtrier supposé se meurt, celui de l’initiative libérée : tous deux ont vécu la vie brève de ce qui ne se ressource pas au vivant ; le despote et l’argent sont morts de solitude, d’une viduité, d’un célibat d’avec la vie, celle du peuple, celle de l’activité réelle.
Une Cité est morte qui nourrissait son devenir de la servitude du vivant.
Et voici que le politique est convoqué à réinventer non pas la vie mais une politique de la vie, à penser ex nihilo une Cité neuve, une vie publique neuve, de nouveaux rapports citoyens étayés par l’assomption du vivant, la reconnaissance, comme fondements possibles du politique, de ses méandres, de ses contradictions, de ses fulgurances.
Le temps est à l’invention d‘une Cité désirante garantissant l’expression démocratique de la vie, de l’émergence, de la création, de l’invention comme substrats du contrat social.
Le temps est à la formulation publique d’un projet de société nourri de cet amour de la vie qui n’est rien moins que la peur de la mort.
Sarkozy navrait, qui préférait à la construction du monde neuf la réaction erratique du fauve à l’hallali.
Ayrault consterne, qui semble préférer à la construction du monde neuf la réaction du résigné rasé de frais.
« Normal », Jean-Marc Ayrault gouvernant ? Pas davantage que ses prédécesseurs, car s’il est une norme, au champ humain, c’est celle en quoi s’inscrit celui qui, lorsque le monde l’opprime, aspire à le refaire, à faire monde.
La peur aliène : le rêve politique est bien une tâche impérieuse, normale, des jours.
Elle n’est pas la seule, elle est la principale.