Vitor Ortiz, 48 ans, directeur de l’EBC (agence nationale brésilienne de communication) fut numéro deux du Ministère de la Culture brésilien sous la présidence de Dilma Roussef. Il fut aussi Secrétaire à la culture de la Ville de Porto Alegre, capitale du Forum Social Mondial.
E.T. : Vitor Ortiz, quelles sont vos fonctions au sein du gouvernement brésilien ?
V.O. : Jusqu’en octobre 2012, j’étais le secrétaire exécutif du ministère de la culture. Je travaillais sous l’autorité de la soeur de Chico Buarque, la ministre Ana de Hollanda. J’étais en quelque sorte « vice-ministre », numéro deux. Mes tâches étaient pour l’essentiel d’ordre exécutif, budgétaire, administratif, de planification.
La nouvelle ministre de la culture, l’ancienne Maire de São Paulo, Marta Suplicy, m’a confié à l’automne la direction d’une de ses agences, l’EBC (« entreprise brésilienne de communication »). J’y représente le gouvernement, y exerçant ce que nous appelons ici une « mission de confiance ». Au sein de l’EBC, je suis en premier lieu responsable des relations institutionnelles. L’EBC est une agence, une entité publique autonome directement liée à la Présidence de la République à travers le Secrétariat à la communication -qui a chez nous rang de ministère- . L’EBC est placée sous la responsabilité de la ministre Helena Chagas. L’Agence est notamment responsable de la principale chaîne publique brésilienne, TV Brasil, qui compte des antennes à Rio de Janeiro, São Paulo, Brasília et dans l’Etat du Maranhão. Elle a également sous sa responsabilité TV Brasil Internacional, qui émet en direction de 54 pays. L’ EBC supervise en outre huit programmations radiophoniques et l’agence nationale (votre AFP), la plus importante du pays.
Quel parcours vous a conduit à exercer ces fonctions ?
J’ai d’abord été un militant du Parti Communiste Brésilien, au début des années 80. Puis du Parti des Travailleurs (PT). Au sein du PT, nous avons fondé le « PT-cultura » qui regroupait des militants de tout le pays afin de discuter politique culturelle et de préparer les plateformes électorales des candidats du parti en la matière. Y compris, bien sûr, celles de Lula.
J’ai ensuite été secrétaire municipal à la culture des villes de Viamão, São Leopoldo et Porto Alegre, des villes de l’état du Rio Grande do Sul, à l’époque dorée du Forum Social Mondial et des budgets participatifs. Sous Lula, j’ai été directeur du « Funarte » (Fondation nationale des Arts) et responsable régional de TV Brasil, à Rio de Janeiro.
Je m’occupe en ce moment de la préparation d’un concours public de sélection de programmes audiovisuels financés par le fonds sectoriel de l’audiovisuel (FSA). Il s’agit d’un des principaux fonds culturels au Brésil, surtout depuis qu’en 2011, le Brésil s’est doté d’une nouvelle loi de régulation du système d’accès payant aux programmes télévisés. La grande nouveauté fut l’obligation assignée aux chaînes de programmer un quota de contenus nationaux (y compris à TV5-Monde, au Brésil, ça va de soi !).
Comment définir la politique culturelle du gouvernement Dilma en matière de culture : continuité, rupture ?
Continuité mais pas stagnation ! Il s’agit pour nous de compléter l’œuvre de changement, fondée sur un rôle accru de l’Etat, initiée par Lula -dont le ministre était tout de même Gilberto Gil- et en même temps de viser l’innovation et l’efficacité. En 2013, le ministère de la culture bénéficiera du budget le plus important de son Histoire.
Cette implication croissante de l’Etat se traduit notamment par une participation de plus en plus massive sur les terrains de d’audiovisuel et du patrimoine, en particulier à travers la mise en valeur des productions culturelles des périphéries urbaines, de l’intérieur du pays, de la culture populaire ou traditionnelle.
Quelles sont les principales difficultés que ce gouvernement affronte ou a affronté?
La bureaucratie, quel que soit le secteur public que l’on considère.
Un état ne peut développer seul, depuis son architecture d’état, une politique d’universalisation de la culture. Il lui faut des partenariats solides. Surtout dans un pays d’échelle continentale comptant 200 millions d’habitants. Le problème est de trouver les bonnes solutions juridiques d’instauration de ces partenariats : le mieux est-il de travailler avec les ONG, les municipalités, les états (fédéraux), eux-mêmes obérés par la bureaucratie ?
Une autre difficulté tient au fait que toutes les aires culturelles (les arts de la scène, la musique, le livre, etc.) ont généré leur modèle de développement propre, au Brésil. L’aire qui avance avec le plus d’assurance est celle de l’audiovisuel. La plus entravée est celle du livre. La plus affranchie de l’Etat est la musique, parce que c’est la seule industrie brésilienne véritablement en position de force, qui peut recruter en soi-même ses solutions. Toutes les autres aires dépendent de l’initiative publique ou des mécènes qui investissent dans la culture s’ils bénéficient des avantages fiscaux nationaux.
Quelles sont les spécificités de la politique culturelle du gouvernement brésilien, selon vous?
La valorisation de la diversité culturelle immense du pays et l’affirmation du rôle majeur de la puissance publique en matière de soutien et de régulation de l’innovation.
Vous avez participé à la formulation de « l’Agenda XXI de la Culture », en 2004, à Barcelone : qu’en reste-il ?
Ce fut un document important qui est devenu un texte de référence pour les acteurs des politiques publiques locales, régionales, étatiques, de la culture. Il a déjà été traduit en dix-neuf langues.
Il se voulait l’équivalent pour la culture de l’Agenda XXI de écologie de 1992. Mais ce dernier a échoué, pleinement, conscientisation à part.
Le grand mérite de l’Agenda XXI dela Culture a été de se poser en prescription d’esprit profondément démocratique, modulable en fonction des situations, des territoires. Il a été de poser la nécessité de concerner pleinement les populations aux décisions prises en matière de politique culturelle.
Quelles relations, au Brésil, entre politiques centrales et politiques régionales, locales, s’agissant de culture?
De mon point de vue, ce lien est encore fragile.
Le ministère de la culture promeut un système national d’action culturelle mais en l’état actuel, cette proposition consiste pour l’essentiel en une tentative d’établissement d‘un pacte fédératif, d’une cohérence nationale en la matière.
Comme tu le sais, la culture n’est pas encore un secteur accessible à tous au Brésil, au même titre que l’éducation, par exemple. Il est difficile de définir ce qui revient à chacun dans l’établissement de cette cohérence, de cette planification générale, holistique. Cette réalité, cette difficulté de définition d’une péréquation juste, freine la mise en oeuvre d’une articulation authentique entre les échelons national et territorial.
Mais les choses ont évolué : aujourd’hui, l’institution modèle en la matière est selon moi l’IPHAN (l’Institut du Patrimoine Historique et Artistique National), organe du Ministère de la culture. La reconnaissance des maîtres et des métiers d’art de l’intérieur du Nordeste, de la capoeira comme patrimoine culturel national, du « frevo » (danse et genre musical carnavalesque brésilien) comme patrimoine culturel mondial par l’UNESCO, sont les conséquences d’initiatives publiques du Brésil. Là, oui, on avance.
Quel regard, quelle action de la puissance publique face à la numérisation croissante des contenuss culturels ?
Walter Benjamin ne pensait pas à internet quand il a évoqué l’oeuvre d’art à l’ère de sa reproduction mécanique….
Mais il semblait penser un problème auquel nous sommes violemment confrontés : celui des droits d’auteurs dans ce contexte…
Cette question n’est pas davantage résolue an Brésil qu’ailleurs dans le monde, tu as pu le constater. Mais les débats sur ce sujet y sont vifs et suscitent, par exemple, une division au sein de la gauche brésilienne.
Il y a d’un côté, ici comme chez vous, l’idée que la rupture avec les droits d’auteur revient à radicaliser heureusement la démocratie. De l’autre, il y a ceux qui refusent la fragilisation des auteurs.
L’offre, la demande…un grand classique…
Pendant les débats intelligents, Google et les autres corporations numériques se bourrent les poches et des entreprises ferment (Virgin aussi, me dis-tu ?)…
Comment se finance la politique culturelle brésilienne?
90% de financement public, 10% de financement privé. La plupart des projets culturels sont financés par les lois de soutien fiscal -ce que vous appelez les « niches »-, c'est-à-dire par les entreprises qui en usent.
Le gouvernement fédéral et les Etats (les gouvernements centraux fédératifs), financent en moyenne la culture à 75% à travers ces lois.
S’ajoutent des programmes d’appui spécifiques, fédéraux, estaduels, municipaux. Ces programmes font grimper la participation publique à 90%.
La culture brésilienne est d’essence publique. Mais elle en passe par un appel puissant à l’initiative publique du secteur privée…
En somme, nous avons tendance à rappeler au secteur privé sa responsabilité de service public en matière de culture quand vous avez tendance, me rapporte-t-on, à demander à l’Etat d’adopter des fonctionnements d’entreprise!
La musique, une fois de plus, fait exception. Elle est autonome financièrement : au Brésil, 80 % de la musique écoutée est brésilienne.
Je n’entends pas par là qu’elle soit la meilleure au monde…quoique…
Comment le gouvernement brésilien voit-il l’évolution des politiques culturelles à l’œuvre dans le « vieux monde », en Europe, notamment ?
Je crois que le gouvernement brésilien ne produit guère d’analyse sur ce sujet.
Nous voulons tous être novateurs, généreux, efficaces…
L’Europe nous rappelle souvent nos racines, nous y avons un accès « national », au Brésil : nous la voyons chez nous…il nous manque une certaine curiosité, au plan général, pour ce qui s’y produit de neuf, c'est-à-dire au-delà du patrimonial…
Il suffirait de nous convaincre !
Quelles conséquences auront pour la politique culturelle du Brésil l’organisation de la Coupe du monde (2014) et des jeux Olympiques (2016) ?
Il y aura un héritage de la réception de ces événements, en termes d’infrastructures, au plan général, marginalement en termes d’infrastructures culturelles, notamment, c’est certain.
En matière de patrimoine, la décision du gouvernement de créer un PAC – Programme d’accélération de la croissance -une des plus belles décisions de Lula, qui fut, sous son autorité, mise en musique par Dilma, alors Premier Ministre- le prouve.
Les travaux portuaires de Rio, revêtent une immense importance au plan culturel. Mais les différents secteurs sont inégalement touchés. Je suis favorable à un investissement massif sur la promotion et le soutien aux formes premières, natives, de la culture brésilienne, à la diversité culturelle de notre pays, à nos infrastructures muséales, aussi.