Dans La Reprise, de 1843, Søren Kierkegaard souligne l’essentiel de ce que le for intérieur peut concevoir, au-delà de la production d’un objet, de la fabrique esthétique, pour dire un rapport au temps qui assure à l’être son unité au monde des temps, de la disjonction des commencements et des termes qui fonde l’existence, la présence.
Christelle Mally, Masque d'oiseau, 2011, crâne, fil de coton, perle, 22 x 14 x12.5 cm, Dunkerque
Et ce que le for intérieur, ce que l’intime peut en la matière, c’est se « reprendre », c’est à dire atteindre l’os de ce qui fut pour y travailler, sous la dictée d’une « condition de l’existence », à la semaille d’un jour neuf, à la fois fruit de la dessication de l’expérience et de l’espérance de sa reverdie comme telle et comme apparition, comme temps venu et à venir, comme réconciliation en un être qui passe littéralement la chaîne des discontinuités factices, des arrachements à soi, des distinctions, des éminences, des séparations fragiles, ténues, arrogantes, étroites -et en cela astringentes-, du temps placé sous l’empire de l’humaine et vaine condition.
Christelle Mally, Masque, 2011, stylo-bille, 90 x 63 cm, Dunkerque
Or, la condition humaine n’est vaine qu’en tant qu’elle fait prospérer la conscience dépassable de ruptures en le temps.
De ruptures que la reprise, la réanimation de ce qui fut, les retrouvailles avec ce qui est, les épousailles de l’avenir, mettent à bas comme l’invention malade d’une conscience captive du relatif.
Captive des arrachements, des « diabolies », des divisions dans l'être, qui portent au jour la vacuité de la présence rendant au créateur, comme l’acteur du « grand théâtre du monde » de Shakespeare, Calderon, Rotrou, Antonio de Pereda, Damien Hirst ou Christian Boltanski, son manteau d’Arlequin, depuis le plateau, l’os du monde, depuis le champ des combats forcément perdus livrés à la marqueterie élémentaire.
Conscience captive qui n'est pas celle de l’être "se reprenant", affranchi de la division des temps, qui voit en tout la convocation à la reverdie, à la reprise des floraisons, qui observe en tout la ponctuation de ce qui, sur l’os et dans le vide fantasmé, est, aussitôt qu’absenté, en proie à l’ efflorescence, à la reprise par la saison une et séminale du monde.
Christelle Mally, Masque d'oiseau, 2011, crâne, fil de coton, perle, 22 x 14 x12.5 cm, Dunkerque
L’oeuvre de Christelle Mally, née en 1978, est de celles qui soulignent, comme Kierkegaard mais depuis l’entreprise objectale, la vanité de la vanité, l’outrecuidance altérée du facteur de temps, de disjonctions dans le temps, de l'historien cartographe appliquant son art désespéré à rompre la chaîne du devenir.
Christelle Mally, Crâne de cachalot, 2012, fusain et stylo-bille, 94 x63 cm, Dunkerque
Ce que la nature « rend », excorié, et en quoi l’emmuré des temps disjoints, le désespéré, veut voir la vanité de son parcours en un monde fait à sa mesure angoissée, cet « os du monde » sur quoi glisse la matière emportée de son existence, de son « temps fait», cet aboutissement devenu objet, poli comme un miroir par l’orgueil persécuté de celui qui pressent les fins comme le fou la proximité des astres, comment ne pas comprendre, à le voir mis au jour, repris, reprisé par Christelle Mally, qu’il n’est au fond que la stase douce préfaçant l’éclosion folle, le perlage beau, la formidable ponctuation.
Christelle Mally, Oculus, 2012, crâne, fil de coton, perle 23 x 12 x11 cm, Dunkerque
Elle reprend, elle reprise, elle rapetasse, Christelle Mally, pour accompagner depuis un mouvement comme possédé, celui du medium, celui de l’inspiré, le devenir un du monde.
Elle fait litière, semant, cousant, ponctuant, sinuant, empruntant des spirales apprises au secret des épiphanies, de la vanité des vanités.
Elle fait de l’eschatologie le champ toujours refleuri, l’os aux pores éternellement au réveil, d’une éternité conçue comme éternité d’une reprise, cycle de la gifle administrée à l’arrogance syncrétique idiote de la conscience des fins.
Christelle Mally, Masque d'oiseau, 2011, crâne, fil de coton, perle, 22 x 14 x12.5 cm, Dunkerque
Chaque geste plastique de Christelle Mally parle, sur un mode radicalement transcendantal, profondément ancré dans une conviction que le soubassement de l’expérience, de l’expérience des fins, en particulier, est la sensation offensante au Vain que les fins n’ont pas « lieu d’être », qu’il n’est pas en l’être de fin hors l’émergence, contiguë à la fin, d’une reprise, d’une résurgence.
Qu’il n’est de vanité que dans le refoulement pathétique et intranquille de l’expérience du ressourcement, qu’il n’est de vanité que dans la crispation de l’expérience esthétique sur l’absence et sur l’os, que dans le geste bête par lequel le prêtre marié de Barbey d’Aurevilly, par exemple, jette aux cochons cette hostie qu'il croit déchargée d’éternel.
Ce que nous disent dessins, photographies, vidéos de Christelle Mally, c’est la vanité du fini, l’inessentiel des fins, la fantasmagorie obscène, radicale, merveilleusement neuve et cependant apaisée par tel ancrage en une vérité de l’être, de l’éternel printemps.
Christelle Mally, rue Feydeau, 2012, aquarelle et stylo-bille, 70 x50 cm, Dunkerque