Dans son traité De la Guerre, paru en 1832, l’officier prussien Carl von Clausewitz présentait la guerre comme « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Il est d’usage de concevoir le terrorisme comme « la continuation de la guerre par d’autres moyens ». Qu’est-ce donc que cette réalité si profondément ancrée dans la civis et la mens contemporaines, quels sont ses traits définitoires ?
Le terrorisme se définit en premier lieu par un rapport paradoxal entre la quantité des moyens et l’ampleur de l’effet. Est terroriste un acte de guerre isolé à effet d’angoisse sans portée, un acte de guerre isolé à portée illimitée dans le temps et l’espace : le terrorisme, y compris quand il ne se manifeste pas ou plus pratiquement, génère une angoisse célibataire de causes, pure.
Il se définit en deuxième lieu par la nature le plus souvent anonyme de ses agents. Un terroriste est souvent un anonyme et quand il ne l’est pas, ce n’est pas parce qu’il prétend à l’officiel, c’est parce que son identité s’est trouvée dévoilée.
Enfin, le terrorisme se définit par l’inéquation des forces qu’il met en présence : belligérant contre civil, force ténue et préparée contre force dense et surprise, militant contre soldat et passant, armée irrégulière contre armée en titre, membre amateur d’un groupuscule contre professionnel d’une masse, artisan occulte à petits moyens contre tenant officiel d‘une production financée par un généreux émargement au budget étatique, etc.
Je résume : le terroriste crée une angoisse pure, arbitraire , car privée de liens véritables à ses causes ponctuelles en termes de temps et d’espace : une angoisse latente. L’acte est sporadique et sans détermination clairement lisible par sa victime, il n’a pas à proprement parler de visage, il oppose forme inconnue et forme connue, il n’a pas de modèle : en somme il est partout parce qu’il n’est nulle part.
Et je dis que c’est l’époque tout entière, qui fait de la vie tout entière le produit de décisions financières (et non « économiques ») occultes, sans causes lisibles, le produit de décisions anonymes, quoique incontestablement militantes (la bourse pense en effet le politque), sans incarnations dans l’espace quotidien de la Cité, que c’est cette époque tout entière qui est terroriste et génératrice d’angoisse pure.
Cette angoisse est aussi et peut-être surtout celle des gouvernants, qui se contraignent eux-mêmes, par défaitisme idéologique et, ce qui revient au même, par masochisme politique, à danser une horripilante danse de Saint Guy, à partager des peurs en en suscitant, sans tête ni coeur, virant à droite toute, ou bien à viser et à multiplier les centres, c'est à dire les points morts de pensée politique, à perdre la main devant des populations médusées et chaque jour plus orphelines, à se subordonner à cette angoisse qui n’est sans doute autre que l’outil d’une continuation de la tyrannie par d’autres moyens…