La fonction principale de l'hypothèse n'est peut-être pas, au fond, de délimiter le champ du possible, de circonscrire celui du probable.
L'hypothèse, écrirait peut-être Clément Rosset, est sans doute avant tout faite pour créer du double.
Elle invente un double du réel en l'absence du réel. En l'absence d'avènement, elle formule une forme du vrai qui vient combler l'absence angoissante du vrai.Elle a pour fonction de rassurer celui qu'effraie le silence comminatoire du vrai ; celui qui redoute une forme ou l'autre de l'avènement.
L'hypothèse est une façon de prothèse greffée sur le temps et qui lui rend la parole lorsque son silence inquiète.
Elle ne construit pas un advenu, elle prépare à un avènement. Elle mithridatise une âme inquiète contre la rudesse, postulée par l'âme, de ce qui est à venir. Ce qui est à venir, l'hypothèse y confronte, y prépare, y dispose.
Le silence du monde livre pieds et poings liés à la stupéfaction, à la terreur, à la vanité de l'emprise rationnelle. L'hypothèse est propédeutique du phénomène. En plein ou en creux, elle aura eu un peu raison, l'avènement gagné, de l'âpreté de l'avènement. L'hypothèse n'est point fille de l'audace, elle est enfant de l'angoisse téléologique et pour tout dire de la sensation du silence cruel de l'avenir.
Elle est invention d'un double du réel en quoi opèrent des causalités, elle est Protée, voix entée d'un temps tragique dont la voix propre est introuvable.
Face aux insoutenables avènements qui s'annoncent, en tout état de cause, dans l'affaire Strauss-Kahn, nous formulons des hypothèses.
Ce n'est pas que nous passionne le possible, ce n'est pas que nous anticipions, depuis un gai savoir, un à venir qui nous « sacrera sages ».
C'est bien plutôt que faire hypothèse nous prépare à endurer le pire, nous permet de modéliser, pour moins en être les patients, pour moins en vivre la passion, ce qui approche, quoi qu'il arrive, et que nous pressentons intolérable.
Ce que nous disons, depuis l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, ce que nous disons depuis la prétérition, depuis la précaution consistant à seriner que nous ne dirons point quand nous dirons en effet, ce que nous disons à l'envi, notre vacarme, est à l'évidence prophylactique : il nous prépare au pire.
Et qu'est-ce que le pire ?
L'épouvantable, en l'affaire Dominique Strauss-Kahn, est que, quelle que soit la vérité qui l'origine, cette vérité est épouvantable.
Qu'une machination méphitique ait emporté, ensemble, un homme, un couple, la pensée et l'action sociale-démocrate internationaliste, la stature sinon du présidentiel, du moins du présidentiable français, dans le contexte si monarchique de la cinquième république, et c'est l'épouvantable d'une subordination radicale du politique à une superstructure occulte qui adviendra, étant advenu.
Que Dominique Strauss-Kahn ait violé et c'est l'épouvantable d'une subordination du politique au raptus, à l'individu radical, qui adviendra, étant advenu.
Que la maid ait menti pour exister médiatiquement et c'est l'épouvantable d'une subordination du politique à un vedettariat neutralisé qui adviendra, étant advenu.
Ces épouvantables distincts et, au fond, siamois, puisqu'ils puisent à la même source de la disparition du politique, de l'espace communautaire légitime comme souverains, causent une angoisse légitime.
Le corps bourrelé, dépenaillé, de Dominique Strauss-Kahn, bouc social-démocrate au désert ou brute aux pulsions ancillaires, exsude l'angoisse.
Et cette angoisse détermine une folle angoisse de l'espace public.
Nous ne savons rien de rien, nous faisons hypothèse, nous préparons le temps à advenir moins crûment.
Rien n'y fera : le moment était sans doute venu pour la goutte de faire déborder le vase, pour le social de voir s'incarner devant lui la sujétion de l'action publique, la nudité odieuse du « roi Politique ».