«Tout a changé en Bretagne, sauf la mer, qui change toujours».
Cette phrase magnifique de Chateaubriand dit tout de la mode, à mes yeux.
La mode n’est nullement, comme on l’entend trop souvent dire, ce qui passe, ce qui survole, éphémère et léger, ce qui durerait au monde, ce qui y persisterait, y résisterait, ce qui y serait profondément ancré.
Elle n’est que superficiellement superficielle. De saison en saison, elle n’efface pas ses traces, elle ne se renie pas, elle ne se contredit pas, elle ne se contrarie pas, pas vraiment. Pas essentiellement. Ses métamorphoses sont les métamorphoses d’une essence immuable.
Sous la volatilité d’un parfum, sous le passage volage d’une soie, quelque chose dure, une forme de relation au monde.
Une forme de relation fondée sur le goût de l’appréhension pure du bonheur d’être au monde.
La mode ne change pas puisqu’elle change toujours.
Elle est le produit d’une initiation, d’une patience artisanale, d’une constance de la sensation, d’une Histoire des techniques, de la permanence de la quête des conditions d’un bonheur d’être au monde.
La mode est une affaire sérieuse et c’est toujours la même affaire.
Saisons, maisons et créateurs se succèdent. Tout semble y mourir et y renaître, y renaître et y mourir.
Or, tout y dure: la mode n’est qu’une chose et elle l’est profondément, constamment, obstinément, toujours et pour toujours.
Elle est la traduction en formes successives de la folle aspiration à saisir le bonheur au monde, à vivre le bonheur du monde, à vivre heureux le bonheur du monde, à être heureux au monde, du monde, dans un état de renoncement à l’entendement, à vivre heureux en le monde sans en quêter la nature, sans en interroger causalités et dimensions, sans scrupule critique, dans la sensation pure et le sentiment que le salut est peut-être aussi, est peut-être surtout, est peut-être exclusivement, pour ici et maintenant.
La mode n’est pas frivole, elle n’est pas fille du caprice et de l’insensé. Elle est au contraire le résultat profondément transgressif du dialogue entre la profondeur d’un savoir technique et la profondeur d’une aspiration continue de l’être à se livrer tout entier à son bonheur d’être au monde, et au bonheur du monde de le recevoir, en un mot, d’une aspiration continue de l’être à être une part du «bonheur du monde».