L’on vous proposait d’être accueilli par qui connaissait et saluait en connaisseur.
Agrandissement : Illustration 1
Veronese, autoportrait, entre 1558 et 1563
Huile sur toile, 63 × 51 cm, musée de l'Hermitage, Saint-Pétersbourg
Un pas de côté, un bref écart, et vous voici connu pour le danger à signaler d’une physionomie fiévreuse.
Narine et bouche forment un pli léger qui engage le regard safran : l’on vous méprise.
On vous craignait, on vous menaçait, voici que le branle de ce cadre figurant le monde branlant, branlé dans la figure, branlé par la figure, vous méprise.
Voici qu’à travers la figure c’est le mouvement et la mue perpétuelles des choses qui vous daubent, qui vous tiennent pour peu, qui se rassurent en démonétisant leur terreur et leur hostilité : c’était pour rien, peur et agressivité sont pour rien, sont pour un rien.
Et ce mépris qui rassure le visage de Véronèse le ramène à soi.
C’était un passage, un intermède, un cauchemar éclairant de la forme.
On vous sourit, on sait.
On vous sourit parce qu’on sait que l’épouvante et l’hostilité sont dépensées non pas pour rien mais pour un rien.
On vous sourit parce qu’on sait il n’y a pas grand-chose à craindre du monstre qui fait face au tableau, qu’il est bien monstre, qu’il vaut bien qu’on le montre, mais qu’il ne vaut qu’on le montre que pour montrer le dépassement de la terreur qu’on en eut, qu’on en a, qu’on en aura, qu’on en aurait.
Ce qui me regarde et à quoi je souris est l’objet d’une terreur dominée, domptée, d’un savoir conquis. Il éclaire, il anime le savoir et la rencontre que le savoir ordonne. « Celui qui m’observe, dit la face qui sait, n’est point si terrible qu’il faille perpétuellement lui opposer l’expression de ce fauve qui danse à fleur de cadre. »