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Billet de blog 21 décembre 2017

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LES YEUX NOIRS (sur Véronèse) : un feuilleton (17)

LES YEUX NOIRS (sur Véronèse). SAISON 2 : "L'Appel du vide", épisode 9.

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Illustration 1

La Conversion de Marie-Madeleine, vers 1546-1548, huile sur toile, 117,5x163,5 cm, Londres, The National Gallery

Or, voilà qu’il est là, tout entier, devant soi, l’opposé, faisant cercle autour de Marie de Magdala.

Voilà qu’il se présente en sa bouleversante perdition, le Béhémoth de Véronèse, son double aporétique, irréductible, terrifiant et dérisoire : il est une foule, il est une foule portée vers le vide et portée par son vide.

Il est une absence apprêtée, un creux en creux, un trou tendu vers un trou, pas tout à fait le nuage de Maïakovski, moins :  une « nuit en pantalon ».

Et cette nuit aspire à soi, cette nuit s’appelle à l’aide. Le regard creux convoque le vide, l’aveugle en appelle à la nuit.

Le soleil noétique, le sang, la cervelle, l’ont laissée veuve. Ils ont abandonné une viduité plus ou moins que noire à sa danse absurde de coq étêté.

Le sens est perdu, le règne est inaccessible hors le hasard.

Le monde qu’observe Paul Caliari est un décor appliqué à du néant.

L’élu est celui que son regard ocre, sa cervelle rose, son sang tomate autorisent de concert à observer non pas la plénitude des choses, mais leur grumellement éventuel sur absence, leur dégouttement en puissance, leur efflorescence trompeuse : leur peinture, en somme…

La Conversion de Marie-Madeleine dit beaucoup de l’autoportrait à venir de son créateur.

Elle en manifeste l’élection comme être et comme ministre, comme sujet et comme praticien.

Elle dit de Paul Caliari et du peintre, du peintre Paul Caliari, qu’il est celui par quoi se formule l’exigence, faute de quoi rien n’est sinon un regard élu sans objet ni portée, de masquer le néant, d’être en le démasquant, de voiler l’absence pour la dévoiler.

Le peintre et la peinture, en somme, sont un jour appliqué sur la nuit des choses, un regard appliqué sur l’aveuglement. Le peintre est au monde non pour le voir, mais pour être l’apophète de son absence au monde. Il est au monde pour « ne pas le voir ». Il est en humanité pour être celui qui en atteste l’absence angoissante, angoissée, atterrante, grotesque à proportion de son ubris. Il est en humanité pour voir l’absence d’homme.

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