La question névralgique posée par les événements en cours dans le monde arabe, la question à laquelle la communauté internationale s'attache à apporter une réponse chaque jour plus déterminée, valeureuse et responsable, est incontestablement celle de la légitimité.
Ceux qui défilent, ceux sur qui pleuvent bombes et mitraille, ceux qui formulent un avenir politique, ceux qui œuvrent du dehors, dans le dialogue, à ce que cet avenir soit ce que veulent les révoltés, puisent au fond à la même source aux deux courants jumeaux, celui du refus de l'illégitime, celui de l'aspiration au légitime.
Le gouvernement français est entré avec ferveur en communion avec ce grand mouvement d'illustration de l'universalité vertueuse de l'ambition légitime.
Il ne pouvait guère en être autrement, l'on eût mal compris qu'un peuple dont l'histoire s'est construite par création et recréation de légitimités toujours plus subtiles, plus fines et partant toujours plus stables, qu'un peuple dont la voix porte depuis cette obsession du légitime, s'absentât de son plateau, de son terrain de prédilection.
La France joue son rôle sur ce plateau, tient sa place sur ce terrain, avec ferveur.
Avec fièvre ?
Peut-être.
Elle a voulu rompre en visière, crânement, l'illégitimité d'un pouvoir sanglant, et entraîné ses partenaires sur ce chemin orgueilleux au sens noble du mot.
Elle a voulu dans le même temps inventer en Libye une légitimité...
Et elle l'a spectaculairement inventée en portant à sa tête, le temps d'une station sur le perron, une figure politiquement illégitime, celle d'un philosophe que la philosophie n'étouffe guère, non plus que la littérature ne bonde sa littérature mais là n'est pas la question...
Il est sans doute bon que les clercs s'efforcent de ne point trahir, il est bon qu'ils nourrissent de pensée, d'âme et de sujet l'action sur la Cité de ceux que la Cité a rendus légitimes. Cela est bon car la légitimité se conquiert depuis l'originalité d'une vision, elle est le produit du charisme d'une illégitimité, de la victoire d‘une proposition, d'une thèse, d'un pari, d'un rêve. La légitimité politique est fille de l'avènement d'une pensée, d'une idée, d'une intuition... mais légitimité politique et pensée du clerc ne sont pas substituables.
Je n'ai pas voté, à titre personnel, pour Bernard-Henri Lévy... peut-être le ferai-je un jour car je crois comme lui que le mal est mauvais et le bien meilleur que le mal. Je crois comme lui qu'il est sain de honnir les méchants et de défendre, partout où ils se trouvent, les gentils.
Mais je n'ai pas eu à voter pour Bernard-Henri Lévy.
Or, je ne crois pas que quoi que ce soit m'empêcherait de voter pour Bernard-Henri Lévy.
J'indique que je serais même assez favorable à ce que la pensée hautement substantielle de Bernard-Henri Lévy s'appliquât à l'action ministérielle qui ressortit à la légitimité puisqu'en droit constitutionnel français, le gouvernement est l'émanation directe de l'élection présidentielle.
Mais voilà : si Bernard Henri-Lévy a vocation à indiquer au pouvoir élu qu'il est important que prévale le bien sur le mal, il n'a en revanche pas vocation à se substituer, ne fût-ce que le temps d'une coquette saynète, au pouvoir élu. Au champ contemporain, les images hurlent : elles ont hurlé.
L'on ne peut rien reprocher à la pensée de Bernard-Henri Lévy, l'on ne peut que louer son action, (c'est d'ailleurs peut-être son drame car il ne fut jamais de pensée, d'héroïsme véritables que redoutablement polémiques) mais l'on ne peut que regretter que la leçon de légitimité administrée de concert par les révoltés arabes et la communauté internationale ait connu en France ce tonitruant moment d'absence...