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Billet de blog 23 janv. 2013

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François Bon, ultra-moderne éditeur : un entretien

Depuis plus de trente ans, François Bon, romancier, essayiste, dramaturge, bassiste, éditeur, dessine, d'oeuvre en oeuvre, d'entreprise en entreprise, d'irruption en éruption, les contours d'un livre à venir en terre culturelle sourdement hostile : entretien.

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Depuis plus de trente ans, François Bon, romancier, essayiste, dramaturge, bassiste, éditeur, dessine, d'oeuvre en oeuvre, d'entreprise en entreprise, d'irruption en éruption, les contours d'un livre à venir en terre culturelle sourdement hostile : entretien.

E.T : François Bon, c’est quoi, Publie.net ?

F.B. : Au début, fin 2007, publie.net c’était l’idée d’une coopérative d’auteurs, mise à disposition de textes téléchargeables avec partage égal des recettes entre l’auteur et la structure. Comme cela a coïncidé, mi 2008, avec l’essor de la distribution du livre numérique sur liseuses, on a très vite évolué vers l’idée de textes contemporains écrits spécialement pour ce support, notamment la jeune création littéraire actuelle.

Comment commence l’aventure du livre numérique pour vous  ?

Pour moi personnellement, l’aventure a commencé dès mon premier accès au web, 1996 : j’avais appris qu’on pouvait télécharger les Fleurs du Mal. En retour, j’ai proposé au site suisse qui le proposait l’envoi de mes transcriptions des éditions originales de Rabelais et c’est parti. Je me suis beaucoup impliqué dans ce mouvement où, alors que la BNF n’avait pas encore de site, on recopiait les grands textes pour assurer une première base francophone de livres en ligne. Pour moi le moment essentiel c’est l’arrivée de l’iPad, en 2010 : tout d’un coup l’ordinateur n’est plus posé sur une table, il se tient à la main. Le livre numérique n’est plus une transposition du livre classique, mais une aventure d’écriture avec les moyens du web.

Quelle fut la réaction du champ littéraire à l’émergence que vous avez incarnée  ?

Avant de lancer publie.net, j’ai tenté plusieurs années de pousser vers le web les éditeurs avec lesquels je travaillais. C’était trop tôt, apparemment. Or, il nous fallait absolument un laboratoire en vraie grandeur. Quelques-uns de mes amis auteurs papier m’ont suivi, mais beaucoup ont pris distance. Si on compare aux champs scientifiques, ou à la musique, cette résistance passive à la diffusion web – sites ou livre – reste pour moi sans explication. Du coup, ce qui aurait pu être une figure de transition risque de devenir une figure de superposition : les nouveaux auteurs entrant dans le grand jeu sont de jeunes auteurs qui ont déjà sites et expérience réseau, et c’est là aujourd’hui où on trouve les écritures les plus radicales et dérangeantes, ou simplement inventives. Désormais, j’ai un peu d’indifférence à qui s’étiole dans ce qu’on appelait, assez maladroitement, « chaîne du livre ». Les créations d’emploi, les inventions de typographie et de modes de diffusion, les inventions de récit et d’objets, sont dans le numérique et pas trop le temps de regarder les traînards en arrière. Dans le travail d’édition numérique, la disposition des métiers se fait très différemment : le codeur est associé à l’auteur dès l’amont du projet, le lien avec le site ou les chantiers de l’auteur se retrouve dans l’objet final. C’est lourd de conséquence pour les actuelles formations aux métiers du livre et de l’édition, qui sont aussi un peu à la traîne, on a du mal à trouver les gens vraiment aptes à travailler pour nous, alors du coup on se met à apprendre ensemble. Avec mes soixante balais, c’est pas toujours facile.

Aujourd’hui, les choses vous semblent-elles évoluer dans le bon sens ?

Les éditeurs traditionnels sont maintenant convaincu que la mutation est irréversible. Elle n’annule pas le monde papier, au contraire on peut faire de belles expériences dans la complémentarité. Mais l’offre reste globalement un décalque : transposition du texte en epub, prix quelque part entre l’édition papier et l’édition de poche, pas d’interrogation des nouvelles formes de commercialisation, par abonnement, ou via les accès bibliothèques. Donc tant mieux, parce que dans la banalisation qui s’amorce, un expérimentateur comme publie.net trouve mieux sa place, et un peu tant pis, parce que rien encore n’est développé de façon interprofessionnel sur les contrats,  les formats...

Où se place le livre dans l’économie culturelle numérique générale  ?

Les choses économiques ne m’intéressent pas. On croit à nos textes et on s’y accroche avec les dents, et on fait pareil avec les textes d’autres auteurs quand on les estime nécessaires. Si en plus on commence à créer une viabilité comptable, tant mieux, ça me permet de rémunérer des professionnels inventifs et de pousser tout ça vers l’avant.

Vos conseils à un jeune éditeur ?

Il faut se méfier des conseils, et de ceux qui les donnent. Les choses les plus étonnantes surgissent toujours d’à côté de ce qu’on avait prévu. Les grandes inventions techniques récentes, qui ont bouleversé le web, c’est d’utiliser les vieux fils de cuivre du téléphone avec l’ADSL, et l’avènement du multitâche sur nos ordinateurs portables vers 2004. Nous-mêmes, nous avons à sans cesse nous remettre en cause à mesure que se développent des usages neufs. À chacun de trouver sa voie d’invention.

A un jeune poète :) ?

Je ne suis pas poète.

Depuis 2012, vous proposez certains de vos titres sous format papier : palinodie, trahison de la cause ? Nécessité  ?

Incapable de répondre. La jonction avec Hachette s’est faite un peu par hasard, alors qu’ils venaient de construire l’usine ultra-moderne de Maurepas : au lieu d’imprimer les livres par tirage fixe, doter les mêmes machines d’une intrastructure informatique qui permet de changer de titre après chaque exemplaire, et d’expédier directement le titre (l’unité d’imprimerie est insérée dans le centre de distribution) au libraire le lendemain même de la commande. L’économie du livre traditionnelle va connaître avec ces outils une nouvelle mutation, peut-être plus importante que l’arrivée du livre numérique. En France, le papier est encore dépositaire de l’identité symbolique de l’écrivain – alors faisons aussi du papier. Des oeuvres de jeunes auteurs expérimentateurs bénéficient de la puissance de diffusion Hachette Livre, sûr qu’on ne va pas manquer ça. J’ai ajouté l’idée suivante : comme les musiciens qui insèrent le code mp3 dans la pochette du vinyle, nous insérons dans nos livres papier le code d’accès à leur version numérique. C’est paradoxal, parce que moi-même, et encore plus avec la récente arrivée des tablettes 7’’, je préfère lire en numérique. Mais l’exigence de la fabrication papier a été pour nous une école formidable : nos epubs sont bien meilleurs maintenant, et dans ce dispositif encore très neuf (tout le monde a tenu dans ses mains un livre imprimé à la demande, sans le savoir), il y a un espace spécifique de création.

Quelles pistes de développement pour Publie.net  ?

Bizarrement, je ne souhaite pas un modèle basé sur le développement. Dans l’édition traditionnelle, j’ai toujours été beaucoup plus attiré par les livres bénéficiant d’un fort apport artisanal. Je voudrais qu’on en fasse autant avec nos expériences epub. Garder la maîtrise d’une petite structure. Je pense plutôt que dans les années à venir on va voir surgir pas mal de maisons numériques spécialisées, poésie, photo, fantasy, et que les gros mastodontes assis sur leur coffre-fort risquent de voir beaucoup se fragiliser les évidences qui les mènent aujourd’hui. Le numérique est encore aujourd’hui une diffusion de niche, alors on a forcément des impatiences. Mais la création contemporaine radicale n’a jamais été un vecteur de grande diffusion publique. Pas envie de me polluer à la pub et au marketing, je préfère assumer une position artiste, et on commence déjà à disposer des bases pour cela, acheter des droits étrangers, brancher petit à petit les tuyaux de diffusion dans les autres pays, proposer des oeuvres numériques avec la même exigence d’élaboration qu’avait atteint l’édition traditionnelle.

 Qu’écrivez-vous, que lisez-vous qui vous semble dire l’époque littéraire que nous traversons ?

Ce qui dit une époque, littéraire ou pas, c’est toujours seulement l’époque suivante qui le sait. La première édition complète de Rimbaud, c’est vers 1925, et son entrée dans les manuels scolaires en 1954. La première vraie édition de Lautréamont, on la doit à Breton aussi vers 1920. Autrefois on lisait chacun un quotidien du matin et un quotidien du soir, aujourd’hui chacun recrée son univers d’information, et quelque chose comme Mediapart n’était pas prévisible. En littérature, je lis beaucoup plus les sites et blogs que les productions assez standardisées des maisons d’édition traditionnelles. Et c’est avec les sites et blogs que résonne une expérience d’édition numérique comme publie.net. Pour moi, le web, en tant que dimension aussi bien privée que sociale de notre rapport au monde, est une réalité que l’imaginaire aussi doit explorer. Mais cela conduit aussi à relire autrement le patrimoine – pour moi, en ce moment, Marcel Proust. Je dirais que le carnet ou l’atelier de l’écrivain n’a jamais été monodique. Voix, images, documentation, pratiques sociales de l’auteur y ont toujours été mêlées, même si le livre papier nous le faisait oublier. Aujourd’hui, cette pluralité est à nouveau posée avec force, y compris parce que – dans le livre comme dans les autres disciplines artistiques – les modèles économiques se sont brutalement volatilisés, et que les objets neufs que nous propose le web, lorsqu’on diffuse un bout de site web sur tablettes et qu’on appelle ça livre numérique, permet d’insérer dans l’objet lui-même un peu de cette complexité issue de l’atelier. 

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