Jaurès, Renan, Aron, Marx, Bolivar, Malraux, Montesquieu, Chateaubriand, Voltaire, De Gaulle, Mitterrand, Gramsci, Hugo…
Hugo…
Ils furent légion, ces derniers mois, ceux qui agitèrent les noms capitaux au vent propice de la vacuité contemporaine, d'un temps orphelin du petit pas profond de ses princesses de Clèves, comme autant de hochets attestant le retour sur la tribune de l'humaniste.
Il revenait enfin en cour, celui à qui l'encyclopédie ne la fait pas, celui qui, n'arborât-il pas le crâne d'œuf bien plein du héraut de l'Académie, n'en était pas moins capable d'exsuder l'Histoire, la culture, le long temps des formes et des formes de pensée.
À en croire Henri Guaino, Jean-Luc Mélenchon, leurs séides, on allait voir ce qu'on allait voir, à cru, en direct ou par procuration. Ça allait renifler le Lagarde et Michard, les classiques, la picdelamirandolerie, à fond les gamelles cicéroniennes. Ça allait faire litière de la communication venteuse des marchands du temple twitteurs et élémentiers de langage.
La figure de l'orateur, la figure du lettré, pas du diplômé (« O, Pierre Poujade, ne tremble point ! »), du vrai lettré, celui pour qui la réification de la lecture à fins d'études est un peu méprisable, allait faire retour.
À quelle fin ? Relativiste, hypocrite lecteur, relativiste…
Il allait fesser un temps que son ignorance conduisait à ne point se souvenir, c'est-à-dire à perdre conscience de sa position au temps, de sa position au règne de la raison historique, c'est-à-dire à perdre son sens et à errer, asservi par ceux de ses habitants qui ont assurément à gagner à le voir marcher à rebours de son sens.
On allait voir la République, la Nation, l'Internationalisme d'essence culturelle, la visée historique, en remontrer à la courte vue monétariste, à la levée des égoïsmes, à la curée exercée en l’âme par le désespoir de celui à qui l'amnésie livresque dissimule la beauté du jour à venir.
Et tout ceci avait de quoi séduire celui qui lit, celui qui a vu des mondes, celui qui a vécu mille ans dans la parole transmise.
Celui-ci espérait à bon droit que le recours à la culture, que les retrouvailles ferventes avec la bibliothèque le conduiraient à voir, de son vivant restauré, la réapparition d'un sens de la marche.
Oui, mais il eût fallu qu'on relût aussi Sénèque ou La Fontaine, par exemple, dans les coulisses tribunitiennes : patience, patience…
Il fallait que tout cela « prît », que l'orateur fît patience et attendît qu'on eût relu pour porter un deuxième coup, qu'il ne fût pas altéré par ses premiers échecs en prosélytisme…
Il n'a pas su attendre : il a voulu faire impression, buzzer, concéder au vortex de l'époque, faire spectacle.
Il a livré son public en pâture à l'ignoble du temps. L'ange humaniste à la bête immédiatiste.
Il a fait pire que l'inculte : il a prostitué la culture.
Il agitait le hochet République ? Voici qu’élu de la nation, il insulte le juge.
Il agitait le hochet de l'internationalisme généreux ? Le voici qui flétrit la finance apatride.
Il offrait son flanc mystico-laïque au dragon lepéniste ? Le voilà qui, tout à fait à son instar, joue du vague de la référence, de l'ambiguïté de l'apophtegme, pour galvaniser son monde, celui-ci accueillît-t-il en ami le pire, le guesdisme sourd, le gauchisme antidreyfusard latent.
Oui, l'on attendait à bon droit beaucoup du retour sur la scène politique de l'orateur éclairé, de l'humaniste militant.
On attendait par exemple qu'il opposât un sens à l'absence de sens, le temps à l'instant, un sens de l'Histoire bien vive à celui que l'extrême-droite manipulait avec une indiscutable agilité devant le lamento paresseux de contempteurs lassés des livres : un sens de l'Histoire fondé sur l'élévation collective de la cité, sur sa construction altruiste.
Maurras avait su parler : en effet, l'on attendait Hugo…
Hugo…
Guaino, Mélenchon, Le Pen, même combat ?
Non : les deux premiers ont, ces jours derniers, fait bien pire que professer les vertus de l'infamie historique. Ils ont subordonné la bonté de l'Histoire, celle de la pensée, à cette infamie.
Ils n'ont pas fait valeur du désespoir, ils ont fait pire : ils lui ont aliéné l'espoir.
Qu'ils s'en excusent et l'on verra.
En attendant, il me semble qu'on peut, raison gardant, verbe tenant, et quoi qu'on puisse penser du gouvernement en place, les maudire pour cela, les sinistres, les funestes pantins.
Qu'ils s'excusent, oui, ou bien qu'ils s'en aillent, tous.