Vue de France, la vie est un archipel de douleurs.
On s’y traîne, on y sonde ses plaies, on y geint à l’unisson.
L’ordre de France est le soufflet reçu, l’exercice imposé, l’avanie.
Une étrange fatalité condamne le peuple de France à ne plus faire au monde que l’expérience amère du châtiment.
Rien ne va plus : la fille aînée de l’Église est aussi son bouc au désert christique. L’on pressent qu’elle paiera pour l’arrogance ruineuse de l’occident consumériste et régressif, à la fois avide de tout, dévoré par un tropisme dévorateur et pusillanime, rétif à vivre son aventure prédatrice à découvert, protégé par l’égide aux dépenses astronomiques de ses états centraux faussement providentiels, vraiment vampires.
L’heureuse vocation internationaliste de la voix française, de cette vertu « toute de France » fondée sur l’éducation, la culture, l’inventivité sociale, la péréquation républicaine, tonne dans des abysses archaïques.
Feue la France est fessée, talochée, gourmandée, punie.
Une considérable et invisible fourmi, faisant figure de dieu caché de sa tragédie contemporaine, lui fait le reproche sourd et continu de ses vilaines manières de cigale.
« Ton tour est passé, il faut passer à la caisse, la vie est ainsi faite que le tour de chant estival y est à compte d’auteur…», sermonne la fourmi sourcilleuse…
Et cette fourmi, dont l’un des noms est « nouvel ordre économique mondial », la France à la fois courbe l’échine et lui obéit et à la fois maugrée et ricane dans sa barbe de trois jours contre ses incarnations, ses anges séculiers, ses envoyés : l’assisté social, le chômeur cynique, le patron voyou, l’odieux laïc, l’abject fidèle, l’étatiste ringard, le libéral dépassé, le riche, le pauvre, le rom, le juif, l’arabe, le jacobin, le politique, l’apolitique, le girondin, l’intellectuel, l’artiste, l’ignare, la brute, le voisin, le lointain, l’homosexuel corrupteur, l’hétérosexuel censeur, le despote mâle, l’anarchiste femelle, le vieux qui s’accroche, le jeune qui dérape, l’Europe, l’Europe, L’Europe, son absence, son absence, son absence...
L’enfer c’est l’autre. Autrui est le masque et le bras séculier de la vie qui bourrelle celui qui voit depuis la France.
Le bon projet, le projet juste est de plus en plus, vu de France, celui que porte le sujet politique qui, radicalement, crûment, reproche à l’autre sa faute, l’inconvenance et la cruauté de sa présence qui lui est aussi, en retour, un constant reproche.
Le sujet politique qui tonitrue le contraire, passe les bornes pour dire l’urgence et le bonheur de la fraternité, du recours à l’autre devant le reproche, est prophète des sourds.
La cigale de France était chanteuse : la voilà goguenarde, grognon, ronchon, amère, mauvaise…
La fourmi voulait qu’elle s’en voulût : elle en veut à l’autre qui lui en veut, c’est gagné.
Telle est la plaie de France, l’invasion par la cigale, pas n’importe laquelle : la cigale renfrognée, la cigale acide, la cigale aigre, la cigale en descente, la cigale qui cuve, la cigale bridée, la cigale qui bride, la cigale injuriée, celle qui injurie…
Celle pour qui le malheur de la cigale est en l’autre cigale.
Celle pour qui l’identité de l’autre cigale se fonde sur le malheur de la cigale.
Celle pour qui l’identité malheureuse de la cigale est immanente à l’autre cigale, inscrite en l’autre cigale.
Celle pour qui l’identité d’autrui est une fatalité malheureuse.
Son malheur.
La vraie vie de cette France-là est ailleurs, chez Amélie Poulain, Dominique Rocheteau, Charles de Gaulle et Pierre Mendès-France, Jaurès et Trénet, Giscard…
Puis vient Mahmoud Abbas, un dimanche, dire de la Shoah ce qu’elle est et, ce faisant, retourner la vie, reconnaître en majesté l’autre comme autre, faire litière de l’héritage terrible en quoi consistait le fait de ne jamais l’avoir conçu que comme une identité tortionnaire.
Puis vient Mahmoud Abbas, le deuxième dimanche de Pâques, celui de la Miséricorde chrétienne, offrir le cœur d’un peuple à la misère de l’autre, faire le don de reconnaissance au cœur de l’autre, pardonner à l’autre en lui faisant le crédit d’être lui aussi l’enfant des raisons de son cœur…
Puis vient Mahmoud Abbas changer tout à coup la vie.
Puis vient Mahmoud Abbas sonner à la porte de France pour dire : « la vraie vie est ici, le monde est l’heureuse surprise du monde : ce que l’autre reproche et se reproche, et reproche se le reprochant, et se reproche le reprochant, c’est qu’on ne l’aime point.»
Puis vient Mahmoud Abbas dire aussi au pays de France : « aime et tu souriras ».