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Billet de blog 28 juin 2012

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"Qu'est-ce que c'est, "normal"?"

Je me souviens que dans la préface de ses Confessions, le tricentenaire Rousseau Jean-Jacques posait en substance, alors qu’on ne lui demandait rien, qu’il était, tout bien considéré,: « le meilleur des hommes »*.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je me souviens que dans la préface de ses Confessions, le tricentenaire Rousseau Jean-Jacques posait en substance, alors qu’on ne lui demandait rien, qu’il était, tout bien considéré,: « le meilleur des hommes »*.

Or, voici qu’un lointain épigone bonhomme confesse « je suis un président normal », alors qu’on ne lui demandait rien,  alors qu’on n’en doutait pas et voilà que je m’interroge, comme Jean Seberg , mutatis mutandis :

« Qu’est-ce que c’est, normal ? »

 J’imagine que ce "normal" fait de François Hollande une sorte de signe, d’idée de soi, de parcelle d’un corps collectif défini par la norme.

J’imagine que cette profession de soi sommative voulait faire justice de la subordination du politique au sujet, au personnel, au privé, faire sa fête à la subordination du sort civil, du sort civique, du sort de la Polis, au sort de cette peau qu’on sauve, le temps de la tendre au créateur pour emballage mais, comme le créateur, fermons  la parenthèse « danse macabre » .

 Or, patatras, voici que le sujet fait retour en Hollande sous la forme d’un tweet rageur (« Tweet rageur à la Rochelle » aurait au demeurant fait un excellent scopitone pour « Salut les copains ! »). Voici que le sujet dissous dans la norme, comme son électeur dans les normes sans visage des logiques célibataires de la finance qui n’est pas l’économie, comme le disait Rousseau, que le sujet dissous dans la norme voit se dissoudre en lui la norme et qu’il nous revient, singulièrement singulier et nu comme le roi des vers.

« Qu’est-ce que c’était, normal ? » c’était peut-être devenir ce qu’on était, abstrait, subordonné à l’ordre abstrait qu’on nomme norme, tiré hors de soi par une collectivité rêvée…

C’était peut-être être comme le gouvernement du monde, au fond, qui est sans visage, sans figure, sans incarnation autre que l’inincarnable des mécanismes inextricables du marché, ce gouvernement qui s’observe lui-même comme l’ouroboros d'Egypte se mord la queue, sans toutefois en jouir.

 Or, il ne veut pas de ça, l’électeur, ce n’est pas là que se loge son désir, ce n’est pas ce qui le hante, d’assister à la soustraction du sujet au sujet. Il n’a pas préféré la norme au sujet, il a préféré un sujet à un sujet, un anormal à un anormal, une figure à une autre, une rondeur bonhomme à une névralgie, une caresse à un spasme, le sourire au rictus.

 Hollande n’est pas l’objet d’un désir de soumission de la figure, de l’icône à la norme où elle s’efface. Il est l’objet d’un désir d’anormalité, d’incarnation, aussi puissant que celui qui a fait élire son prédécesseur.

 Les masques, les personnes défilent, au temps contemporain, depuis un même désir d’incarnation, depuis un même désir « iconodoule », diraient l’Histoire des religions et le chroniqueur pédantesque.

Et ce désir que soit élu un « meilleur des hommes », c’est celui d’une époque qui ne vit pas l’angoisse, la détresse du confinement (les deux mots, angoisse et détresse, renvoient d’ailleurs à l’idée de « voie étroite »), ce désir, c’est celui d’une époque antiromantique, profondément agoraphobe, qui vit la peur du grand large, de la large norme, de l’abstraction dont le centre est partout en Grèce et la circonférence nulle part, d’une époque qui vit la peur de l’ordre sans visage, de l’autorité sans corps, pas sans frontière, sans corps, l’autorité sans limite de corps, d’une époque qui vit, en somme, la peur de l’absolu.

 L’époque veut de la figure, du corps, de la responsabilité incarnée, du relatif. C’est ce désir qui a convoqué le tweet de Dame Valérie, c’est ce désir qui convoque la saga Hollande Merkel, qui convoque l’adhésion aux pittoresques poutouesque, mélenchonien, lepénard, qui convoque l’adhésion à ce pacte de Tobrouk par lequel le temps veut renouer avec la responsabilité éligible de la figure, du corps, du verbe, de leur tonitruante et fraternelle vanité.

 « Qu’est-ce que c’est, normal ? »

« Normal », c’est le cauchemar de ce temps du normal normatif, de ce temps que son désir d’incarnation porte vers la quête enfantine et brutale du « meilleur des hommes », de ce frère éventuellement et si utilement décapitable…

* : "Que chacun d’eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité, et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là."

Cette chronique est consultable en ligne et en live sur le site de France-Culture http://www.franceculture.fr/emission-le-rendez-vous-le-rdv-avec-valerie-mrejen-bertrand-schefer-philippe-terrier-hermann-christi

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