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Vols d’oiseaux, ciels superbes, soleils, sillages, amours folles, passions rémérées en paix pour toujours, terres aimantes, souffle recouvré : tout est disposé, dans l’œuvre chanté de Julien Clerc, à accueillir et à révéler l’éminence de l’être incommensurable et solaire, l’être plein d’être, dont l’existence est à la fois l’ouvrage, le filtre et l’ouvrant.
La voix, la composition, le texte, l’arrangement orchestral, tout concourt à faire de l’esthétique du chanteur, en quoi passe le temps, la ténuité fidèle, singulière en tant que fidèle, qu’investit et invagine en aura, en une aura, en une aura sans genre, en une bonne aura communicative, la plénitude d’un bon au-delà bon des choses qui est leur origine et conduit à tout : au chant, au poème, à la partition, par exemple.
L’esthétique de Julien Clerc est partition reconnaissante de l’unité en l’être des choses, de cette unité libératoire, de cette indistinction qui désentrave, en quoi, devant quoi, le monde signale à la fois la nécessité de sa parole comme nouvelle, comme véhicule, et l’inconfort de sa circonscription devant l’abolition de toute parole.
La grande vie
Mange la vie
Il semble qu’on ne saurait chercher d’autre détermination à ce que propose Julien Clerc, depuis quelque cinquante ans, que l’espoir d’une affirmation de l’éminence d’une magnificence dont la fragilité tenue du métier, du ministère de l’art, est le vassal allègre, le serviteur enfiévré par une joie de dire le contraire, le diamétral opposé d’une servitude, la dévotion à une liberté qui fût la liberté des libertés.
L’œuvre de Julien Clerc n’est pas uniquement cette discipline de chanson qui exsude son credo hippie, hobo, en cheveux, libertaire, son espérance en tous les affranchissements d’ici.
Il n’est pas uniquement cette profession de foi de chaque instant en faveur de la construction d ‘un regard sur cet autrui qui partage avec lui cette « grande ville » des autrui, ce théâtre où il n’est d’acteur qu’affirmant la distinction d’une existence et d’un regard porté.
Il n’est pas uniquement ce grand chœur-albatros un peu forcément démesuré, obscène, qui, au cœur de la distinction de l’existence ou de l’ensemble des tâches dévolues au monde pour s’affranchir de ce qui est et être « quelque chose », joue, en révérence, le jeu de la soustraction libre d’un regard au regard de l’autre.
Il n’est pas uniquement cette « voix étrange » constituant, instituant, au règne des distinctions, au règne des partitions, cette dignité du monde qui vise l’annonciation, sur le mode apophatique, de la liberté des libertés aux fins, de « l’amour enfin ».
Il est celui qui, plus que d’autres fondé à revendiquer l’affranchissement d’un même au champ de l’existence « œuvrière », revendique de façon contiguë, en toute logique, une anagogie de la solution des liens, une remontée aux sources et au terme, à cette source, à ce terme « toujours de toujours » qui, loin de porter la contradiction à ce qui s’en est extrait pour faire « grande ville », pour « faire vie », est cette essence pressentie en quoi l’abolition de tout en un même est l’Idée même du libre.
Femm's, enfants,
Vieillards, bébés
Tout l'mond' dans
La même B.D., O.K. ?
Oui mais...
Respire
Respire
Respire
Respire
Respire
Julien Clerc est, en ville, le lévite, la vestale du libre, le prophète du libre.
En tant que tel, il est le corps passant le temps, où passe le temps, d’une contradiction apparente.
Libre et sujet.
Affranchi et prosterné.
Affranchi de tout autrui au monde, à la ville. Affranchi depuis une subordination unique à l’art, au travail, à la domination de cette « furor » antique qui, loin de la rompre en visière, lui pave le chemin.
Affranchi du monde au monde, séide de l’être.
Au monde, au-delà, sujet du libre.
Autre, libre au règne de la partition et outil, medium, sujet de cette liberté suprême en quoi consiste l’inscription supérieure en l’être où la distinction est aussi vaine que belle sur cette scène du monde qui fait parts, qui départ ce qui est de l’ordre de l’être…
Julien Clerc est libre et il ne sert qu’à proportion des commandes du libre.
Quand je joue
Je suis comme un fou
Je n'ai plus les pieds sur terre
J 'm' envole
De cette dialectique de l’arrogance et de la servitude, de cette double appartenance éthique, dont le fondement unique, dont le premier principe est l’affirmation du libre absolu au champ relatif, sourd un art toujours à mi-chemin, toujours à l’équilibre entre grandiloquence et humilité artisanale.
Le lévite, le porteur de l’arche d’alliance, est cette figure double, saisie par Racine en Joad dans son Athalie, en quoi se cherche et se rencontre un équilibre entre l’atemporalité transcendante de la relation à la suprématie de ce qui est et la syntaxe des devoirs artisanaux, la syntaxe de l’œuvrer qui, seule, en fait le temple, la chambre d’écho d’une voix qui est la voix.
Il y a chez, Julien Clerc, chez le prêtre « vénusien », une tension, qui est peut-être toute son aura, tout son chant, tout son « charme », entre la disposition élective à accueillir l’avènement de l’être, d’un être en Amour majeur, d’un être en Amour enfin, d’un être d’amour, entre le pressentiment de la grandeur, de l’éminence et de sa présence en le « petit véhicule » du chant et la conséquence tirée d’une servitude nécessaire de l’élu, toute renaissante, à la profession de ce qui est, outre, la présence du présent, la présence.
Julien Clerc est irréfragablement ces deux complexions-là ensemble : il est Ronsard (et Ferré, et Polnareff…), il est le réceptacle assidu de la magnificence de mêmeté, de la magnificence tout amour de ce qui est, il est l’élu, il est le paladin. Mais il est aussi Malherbe (et Brel, et Gainsbourg…), celui dont la liberté entre en coercition de soi à l’heure où doit passer le temps, celui dont la responsabilité est de faire objet, objet dans le devenir, objet messager dans le devenir de sa haute, de son imprescriptible permanence, ouvrage « fait pour », « conçu pour », aller dire dans le temps la bonne nouvelle de la mêmeté, de la vérité d’amour, de l’aspiration de toute chose à regagner le lit nitescent de l’appartenance à toute chose.
On pourrait pleurer
On pourrait oui mais
Nous sommes assez fous
Pour croire les étés sans fin
Et si malgré tout
Tout à coup l'hiver survient
Nous met à genoux
Voudras tu bien
Danser, chanter
Oh hé
Voudras tu bien ?
Danser au pied du mur
Chanter dans la froidure
Tout près le tonnerre gronde
Danser jusqu'à la fin du monde
Cuivres spastiques maraudés à Penny Lane, violons languides de caraïbe, scansions enfantines d’un piano emprunté à Paul McCartney au travail chez les Asher, métallisation, c’est-à-dire réflexion de tout jour et veloutement pour que l’âme « se fasse » : grand teint, assiette pleine, totalité wagnérienne, mathématique baroque, confidence symboliste : hic totum, au moins en puissance. Rien, aucun travail, aucune tessiture ouvrée ne se refuse chez le lévite, dès lors que passe le temps qui s‘annonce à proportion qu’on l’annonce, que passe l’amour des amours à proportion qu’on en invoque les mânes depuis une existence, une incarnation, un Dasein de chanteur qui est ouvrage, depuis une existence qui est action concertée dans le monde au service de sa paradoxale souveraineté vassale, action dans la vie au service de « la vraie vie » de Rimbaud ou de Proust, de la « grande vie ».
Quia fecit mihi magna qui potens est
Ou bien
Le grand amour c'est Dieu comme un instant.