Emmanuel Tugny
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Billet de blog 30 mars 2011

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D'un silence menaçant

Au champ du Droit, une étrange inversion s’est opérée ces dernières années, qui me semble devoir être examinée depuis le rapport général de la Cité à la Polis, depuis la relation critique de la collectivité à son "être au monde."

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Au champ du Droit, une étrange inversion s’est opérée ces dernières années, qui me semble devoir être examinée depuis le rapport général de la Cité à la Polis, depuis la relation critique de la collectivité à son "être au monde."

Le Droit, comme tout corps de verbe, est quadrature du néant, du silence, Logos d'un Chaos, tracé noir sur page blanche, construction sur rien ou, ce qui revient au même, sur les contradictions des catégories morales. Il dit autant depuis son plein, depuis ses choix, que comme encadrement du vide, c'est-à-dire depuis son vide ; il parle, comme la musique parle du silence, la peinture de son support, l’architecture du naturel, le cuit du cru ; il définit, en y construisant, des aires de vacuité, des espaces vacants, et ces espaces, comme le silence qui succède à Beethoven est encore de Beethoven, sont un effet de Droit, sont une dimension éminente du Droit.

Et que dit aujourd’hui ce silence des « solitudes » du Droit, ce sous-entendu de l’entendu, du "prononcé", qui fait nouveauté ?

Il dit que ce qui n’est pas énoncé en droit n’est plus, comme autrefois, autorisé par principe et coutume mais bel et bien interdit par principe et coutume. Ce qui n’est pas articulé de jure est prohibé de facto.
Ce que la loi n’interdit ni n’autorise n’est point autorisé par ce silence mais interdit par lui. Le silence n’est plus le lieu et l’occasion, le « kairos » grec d’une liberté, d’une aventure mais un espace menaçant, un espace de l’empêchement tacite. Le silence du droit n’est plus sourdement complaisant, il est sourdement comminatoire.

Ce qu’on ne m’interdit pas de faire, je le faisais, je ne le fais plus.

Voilà que je ne sais plus, par exemple, si je dois ou non fumer où il ne m’est pas interdit de le faire...voilà que je ne sais plus au juste si je puis ou non punir un élève lors qu’aucun arrêté ne prohibe cette décision…voilà que je ne sais plus au juste si je puis piétiner cet espace gazonné devant quoi ne figure aucun panneau d’interdiction… voilà que je ne sais plus au juste si je puis m’opposer à l’ordre d’un supérieur hiérarchique quand rien ne s’y oppose en termes légaux…

Voilà que mes bateaux s'interdisent d'être ivres...

Quelque chose en l’époque y a instauré une peur du vide : de son « inquiétante étrangeté » (de son « unheimliche »), peut-être, en un monde si névrotiquement convaincu de sa finitude…

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