Emmanuelle Alice

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 juillet 2024

Emmanuelle Alice

Abonné·e de Mediapart

Les bras m’en tombent et je n’arrive pas à les relever.

Emmanuelle Alice

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les bras m’en tombent et je n’arrive pas à les relever.

Depuis le 9 juin, je pense beaucoup à mes parents, mes grands parents : heureusement pour eux, ils ne verront et ne sentiront pas ce climat de haine, de peur. Cela n’aurait fait qu’ajouter de la peur à la peur primitive de la ma grand-mère, cette dernière nous disait souvent quand nous étions petits mes cousins et moi-même « ne dites jamais que vous êtes juifs, ne répondez pas » ; cette peur, elle l’a traîné depuis la guerre, la deuxième.

Ils se croyaient protégés depuis le décret Crémieux et la miraculeuse accession à la nationalité française pour tous les juifs d’Algérie au détriment des musulmans toujours indigènes. Ils vivaient en Algérie depuis le début du XVIIIème, venus d’Espagne, du Maroc, fuyant les persécutions.

Elle gardait précieusement dans une boîte en fer deux reliques de cette guerre : sa carte d’identité barrée de la mention indigène et son étoile juive. A sa mort, la boîte avait disparu, emportée dans sa démence due à la maladie.

Anecdote rigolote : petits, lorsqu’elle se disputait avec mon grand-père c’était toujours en arabe qu’elle le faisait et nous disait : c’est de l’anglais ! Arrivés au collège, mes cousins ont vite compris que ce n’était pas vraiment le cas. Avec l’arabe, elle parlait aussi espagnol car élevée dans le quartier espagnol d’Oran : chaque jour elle jouait dans la rue et ma grand-mère demandait aux voisins de tout horizon de la surveiller (espagnols, arabes, italiens, français).

De ce temps là, elle n’a jamais eu la nostalgie, s’étant résignée à ne plus vivre dans son pays du soleil où elle n’a vu qu’une seule fois la plage d’Oran recouverte d’une très fine couche de neige. « c’est comme ça » disait-elle, « aujourd’hui, on est en France et l’Algérie de mon enfance est finie ». Heureusement pour nous, et contrairement à beaucoup de juifs pieds-noirs d’Algérie, jamais la haine n’est entrée dans notre famille : des mariages mixtes comme on dit avec un oncle franc-comtois ou une tante belge. Au contraire, une indéfectible position de tolérance, de partage et de solidarité pour une famille qui a majoritairement fait carrière dans la fonction publique d’État à défendre l’intérêt public.

Aujourd’hui, je suis perdue et bien seule sans eux, ce matin j’ai pleuré en lisant encore un article sur ces français dont la parole abjecte se délie, leurs propos nauséabonds et mensongers envers ceux qui ne pensent pas comme eux, n’ont pas bonne couleur ou le bon nom.

Dernière anecdote : à la mort de mon père, qui avait perdu la foi à 18 ans, et deviendra ensuite syndicaliste, ce dernier a préféré la crémation : hic, elle est interdite dans le judaïsme et une fin de non recevoir offusquée de la part des autorités religieuses bordelaises où il résidait. Alors qu'est-ce qu'on fait confronté à la bêtise ? Heureusement il y a des gens intelligents dans ce monde de fou : le rabbin Philippe Haddad de l’Union Libérale Israélite de France m’a dit cette belle chose lorsque je m’interrogeais sur le fait de trouver 10 hommes pour la prière des morts ; « madame, 10 belles âmes suffiront qu’elles soient hommes ou femmes ». En échange d’un don pour les jeunes de sa synagogue, il a fait le voyage Paris-Bordeaux dans la journée pour que mon père repose en paix et selon sa volonté. Aujourd’hui, encore plus qu’hier je le remercie de ces paroles empreintes d’humanité et de bonté, une belle âme.

Des hommes comme lui il y en a encore beaucoup en France mais pour combien de temps ? Combien de temps pourrons-nous encore nous exprimer librement sans que certains nous hurlent de nous taire, nous frappent, nous dénigrent.

J’ai peur pour mon fils de 14 ans et ses 2 dernières années d'études au lycée : comment les programmes vont-ils être remaniés si le RN est au pouvoir ? Va-t-on encore parler de guerre d’Algérie, de Shoah, combien de professeurs et personnels de l’Education Nationale entreront en résistance pédagogique ?

J’ai peur pour ma fille de 18 ans bientôt qui commence en septembre sa vie d’étudiante dans une métropole ? Faudra-t-il qu’elle retire ses bracelets aux couleurs de l’arc en ciel ? Pourra-t-elle encore tenir la main de son amie dans la rue ? Elle qui s’érige contre l’injustice, comme les enfants savent le faire (« c’est pas juste ! »), qui déjà répond quand dans sa classe un élève parle des étrangers comme bons à mettre dehors.

Le jour de l’enterrement de ma grand-mère alors que mon propre frère s’énervait après ces « arabes » qui piquent le travail de ses enfants qui n’en trouvent pas, je lui ai dis : « n’oublie jamais que ta grand-mère s’appelait Aïcha et que par peur elle a francisé son prénom en Alice ».

Mes enfants à moi s’appellent Jeanne et Emile : ça ira comme prénoms à consonance française ? Ou va t-on leur reprocher d’avoir une mère d’origine juive, alors même qu’ils ont été élevés dans le respect et l’amour de l’humanité, dans une approche cartésienne de la vie, sans être supérieur ayant créer la Terre.

Aujourd’hui, je pleure mais après-demain je trouverai le courage de me lever et de leur dire à tous ceux qui n’ont que haine et vengeance : allez vous faire F…. vous n’aurez pas ma liberté.

Je vous aime.

Emmanuelle

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.