Quelques semaines avant les élections régionales, la Fédération socialiste de l’Indre est en crise. Rencontre avec Norbert Paganelli , secrétaire fédéral démissionnaire.
Plusieurs responsables, et non des moindres, ont décidé de jeter l’éponge. A l’origine de cette poussée de fièvre, la décision des instances nationales d’imposer un candidat sans recourir au vote des militants.
Reste à savoir si la contestation de cette mesure jugée « vexatoire et inopérante » ne cache pas un malaise de fond , malaise qui pourrait bien affecter le mode fonctionnement de tous les partis, lesquels se montrent, bien souvent, peu reconnaissants envers leurs militants.
Ces derniers n’hésitent plus à confier leur blues.
Vous étiez jusqu’à ce jour secrétaire fédéral du parti socialiste, rédacteur de la publication départementale, vous avez été maire adjoint et conseiller communautaire socialiste et vous avez décidé de rendre votre carte. Pourquoi ?
Parce que les instances nationales ont amendé la liste des candidats pour les prochaines élections régionales en interdisant au département de procéder à nouveau vote de validation. Autrement dit, nous nous trouvons dans la situation où une liste non-conforme au souhait des militants sera prochainement soumise au vote des citoyens.
Etes- vous le seul à quitter ainsi vos fonctions ?
Non, un conseiller régional sortant, par ailleurs maire de sa commune a pris la même décision, un ancien trésorier fédéral, le président du bureau des adhésion, un secrétaire de section, un conseiller fédéral ont opté pour la même démarche. Je tiens à ajouter que nous n’avons pas vocation à organiser la dissidence mais que d’autres démissions interviendront prochainement.
Dans quel état d’esprit se trouve un militant qui quitte son organisation ?
Il éprouve un sentiment de tristesse mais également une sorte de sérénité intérieure. Tout homme sait qu’il y a au fond de lui cette petite lumière qui un jour lui fait dire non. Lorsqu’il le fait, et quel qu’en soit le prix à payer, il se trouve alors en harmonie avec lui-même.
N’y a –t-il pas aussi une part de ressentiment, cette impression d’être trahi par une organisation en laquelle on avait mis beaucoup d’espoir ?
Oui, ce sentiment existe indiscutablement mais il n’est rien à coté de la satisfaction de constater que l’on est encore en vie, que l’on peut dire non.. Celui qui part dit clairement : je ne vous reconnais plus comme mes chefs et du même coup il se met à exister en temps qu’être pensant et agissant.
Ce que vous dites semble indiquer que le militantisme politique est une sorte d’aliénation qui priverait les individus de leur autonomie…
Lorsqu’on adhère à une organisation politique, on n’est jamais d’accord sur tout, il y a aussi des moments où les thèses que l’on développe sont mises en minorité, cela est naturel comme est naturelle la discipline une fois que la discussion a eu libre cours. Nous retrouvons là J.J. Rousseau : en aliénant librement une partie de ma liberté, je continue à faire vivre le groupe auquel j’ai choisi d’appartenir.
Donc vous avez raison, l’engagement politique prive l’individu de son indépendance totale lorsqu’il s’exprime en tant que militant, mais, ayant choisi librement la voie de l’engagement, cette dépendance est aussi la manifestation de sa liberté.
Mais alors pourquoi claquer la porte parce qu’une décision ne vous convient pas ?
Dans ce que j’ai exposé plus haut, il s’agit bien plus d’une décision qui ne me convient pas. Il s’agit purement et simplement d’un déni de démocratie et je ne vois pas pourquoi le PS, toujours prompt à évoquer ce thème lorsqu’il s’agit de pourfendre ses adversaires, s’arrogerait le droit d’en faire de même. Disons qu’il y a des limites qu’il ne faut pas franchir.
Pourquoi, selon vous, les dirigeants du parti socialiste ont-ils pris une telle décision ?
Les dirigeants du parti socialiste ont une nette tendance à oublier la base qui les a élus et à laquelle ils doivent rendre des comptes. Ils ont donc pris cette décision parce qu’ils se pensent intouchables et qu’ils imaginent volontiers une base amorphe. L’idée mille fois rabâchée d’une refondation de l’appareil se fracasse sur le constat d’instances vieillies, plus soucieuses de leur propre pérennité que d’une réelle remise en cause impliquant un travail d’écoute de la base. Celle-ci n’est d’ailleurs appréciée par eux que si elle est docile et travailleuse. Docile voulant dire « passive » et travailleuse : « performante dans les distributions de tracts, les collages d’affiches et la participation aux réunions de soutiens aux candidats ».
Ce phénomène affecte-t-il toutes les organisations partisanes ?
J’observe qu’au début du XX° siècle, Roberto Michels dans son essai sur « les Tendances oligarchiques des démocraties », un classique de la science politique, démontrait déjà que le parti social démocrate allemand, dont il était proche, était déjà contaminé par le phénomène élitiste. J’ai, par ailleurs, milité dans d’autres organisations politiques, syndicales ou culturelles où j’ai pu constater une tendance similaire. Il n’est donc pas du tout impossible que cette mécanique assez infernale soit répandue un peu partout.
Ceci expliquerait, d’ailleurs, la désaffection des citoyens pour le militantisme structuré. On a aujourd’hui l’impression que les citoyens n’hésitent pas à s’impliquer dans une action locale les concernant directement mais répugnent à contractualiser avec une organisation dont les modes de fonctionnement risquent de leur devenir opaques. Il y a indiscutable un discrédit des grandes structures et, du même coup, un discrédit du politique, ce qui n’est pas pour me réjouir.
Ce phénomène n’est donc pas nouveau , comment se fait-il qu’il prenne aujourd’hui une telle ampleur ?
La société dans laquelle nous vivons est bien différente de celle qui exista jusqu’à la seconde guerre mondiale. A l’époque les organisations partisanes assuraient une véritable formation de leurs adhérents, ceux-ci leur étaient redevables d’une indiscutable élévation de leur niveau culturel (songeons au remarquable réseau des universités populaires).
Le militant d’aujourd’hui va prendre son information ailleurs (dans les journaux ,sur les ondes, sur le web…), il en résulte une perte d’aura des appareils et une facilité plus grande à prendre ses distances. Il faut dire aussi que le mode de fonctionnement des organisations politiques et syndicales avec leur cortèges de réunions, leur absence de débat de fond, leurs rigidités et leurs langues de bois n’est plus en harmonie avec l’air du temps qui fait la part belle aux rencontres virtuelles, aux échanges non formalisés et à une certaine liberté de ton.
En fait, tout concours à un éloignement des citoyens des grands appareils. Les dirigeants de ces derniers s’en rendent d’ailleurs parfaitement compte mais sont incapables d’y apporter les remèdes idoines parce que ceux-ci remettraient en question la nature même de leur hégémonie.
Y a-t-il une issue à ce diagnostic pessimiste ?
Guillaume Apollinaire écrivait durant la Première guerre que « l’homme est la recherche d’un nouveau langage ». Disons qu’aujourd’hui l’homme est à la recherche de nouvelles formes d’organisation. Il n’est pas assuré qu’il y parvienne. Il est en tout cas trop tard pour l’en dissuader.