Le corps enseignant brandit une fois de plus ses banderoles pour dire « Non » à la Réforme de la Ministre de l'Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur, Najat Vallaud-Belkacem. Mais pendant ce temps, d’autres s’aventurent dans une démarche plus constructive pour faire évoluer l’enseignement à leur façon. En mettant par exemple les neurosciences au cœur de leur pédagogie, ils font le choix d’un collège qui conjugue apprentissage et bien-être. Une utopie ?
Le collège, lieu de vie et d’épanouissement
Chaque étape de l’existence est un passage mais certaines sont plus initiatiques que d’autres. Celle qui va de onze à quinze ans en fait partie, là où la métamorphose opère dans tous les sens du terme pour laisser à tout jamais l’enfance éphémère. Thierry Loiseau, le directeur du Collège Saint-Charles à Angers dans le Maine-et-Loire, en a pris depuis longtemps toute la mesure : son équipe pédagogique n’a pas hésité à passer plusieurs semaines au Quebec et en Finlande pour s’inspirer de modèles avant-gardistes qui ont fait leurs preuves au-delà de nos frontières. Adieu l’autorité (et non à la discipline et la rigueur), place aux émotions ! Car les connaissances neurologiques permettent de comprendre comment fonctionne notre mémoire, notre attention, le stress. C’est ainsi qu’on apprend que l’intelligence est multiple et que le cerveau unique n’a pas de sens. Quel bonheur de découvrir que nous pouvons apprendre toute notre vie grâce à la plasticité de notre cerveau. Qui a dit que tout se joue avant six ans ?…
L'élève peut ainsi prendre conscience à l'aide de ses professeurs de son intelligence spécifique et qu'il peut progresser à l'aide d'outils cognitifs. On convoque alors le plaisir dans la contrainte, et ça fait toute la différence pour lutter contre l'échec scolaire.
L’enfant est l’avenir de l’homme
Avec l’introduction des neurosciences dans la classe, chaque cours devient une expérimentation de soi, de l’autre, du groupe. Thierry Loiseau n’en reste pas là. Il est question d’une réforme qui fait la part belle à l’interdisciplinarité ? Soit, le collège a retroussé les manches pour mettre dès cette rentrée au cœur de deux classes expérimentales de sixièmes des pôles par matières (mathématiques-physique-SVT/Langues-Histoire-Géographie). Une réforme avant l’heure pour créer des passerelles entre chaque discipline et favoriser la bonne compréhension des informations resituées dans leur contexte.
Le tout dans la bonne humeur, en ayant toujours à l’esprit deux mots : Créativité et travail collectif.
Pourquoi la créativité ? Parce qu'elle est intrinsèque à l'enfant qui la perd peu à peu de vue en grandissant. Elle fait pourtant partie intégrante de l'aptitude de chacun et fait souvent émerger les talents là où on ne les attend pas toujours.
Une belle promesse pour les parents qui veulent mettre leur progéniture sur les rails d’une vie épanouissante et riche. Bien sûr, il n’en demeure pas moins que chaque enfant a la responsabilité de sa destinée. Mais s’il connaît dans ses années charnières un mode de pensée qui favorise son développement, faisons le pari qu’il sera un citoyen qui trouvera plus facilement sa place dans un monde en mutation constante.
Neurosciences versus déterminisme, égoïsme et individualisme
Les combinaisons sont multiples entre les différentes intelligences : interpersonnelle, naturaliste, kinesthésique corporelle, visuo-spatiale, intra personnelle, logico-mathématique, verbo-linguistique ou encore musicale. Autant savoir dès l’adolescence comment on fonctionne pour peut-être gagner du temps dans les choix futurs, mais surtout pour éviter de tourner en rond, souffrir de sa différence, voire même entretenir un complexe d’infériorité parfois.
La connaissance de soi dès le plus jeune âge est sûrement le meilleur moyen de lutter contre le déterminisme. En prenant conscience de soi, on développe l’empathie, on communique mieux et le vivre ensemble est plus naturel.
Devenir collégien, c'est semer les graines dans les jeunes générations de citoyens pour une société gagnante à tous les niveaux. Là encore, il ne s'agit pas de tomber dans l'angélisme pour autant. Il n’y a pas de miracle. Mais cette nouvelle pédagogie a le mérite de tenter une autre voie prometteuse alors que beaucoup d’enseignants continuent d’ignorer les résultats des sciences cognitives, d’après l’un des pionniers de la recherche en la matière, le psychologue cognitif et neuroscientifique Stanislas Dehaene.
De la théorie à la pratique
Sans aller jusqu’à travailler dans un établissement à l’architecture ovale comme celui d’une école au centre de Tokyo au Japon (l’école a été présentée lors d’une conférence TED par l’architecte Takaharu Tezuka), à plus petite échelle, cette fois dans plusieurs collèges en France (malheureusement souvent privés, mais ça c’est un autre débat), fini donc les tables en rang d’oignon, place aux tables en ilots par quatre. Cette disposition encourage les échanges entre élèves qui s'aident entre eux. Aussi, avant une évaluation, les élèves bénéficient d’exercices de gestion du stress par l’activité physique pour éviter la panique. En cours de SVT (Science et Vie de la Terre), il n’est pas rare de voir une chaîne humaine d’élèves qui miment les liaisons entre les éléments chimiques. Et quand la concentration baisse, rien de tel que des pauses énergisantes ! Ce ne sont là que quelques exemples de pratiques kinesthésiques souvent à travers le théâtre ou le chant mais les bases d’une alimentation équilibrée ou un sommeil réparateur font également partie du programme.
Ces expériences sont encourageantes au regard des résultats constatés d’années en années. Alors pourquoi ne pas imaginer une réforme faisant plutôt la part belle aux neurosciences pour tous les collèges de France ? Et si la Ministre prenait un vrai tournant fédérateur avec une vraie vision et un mode d'action plus inédit, créatif, audacieux. Plus efficace au final ? Car « l'utopie n'est pas l'irréalisable, mais l'irréalisé », citait Théodore Monod.
Les maths, les langues, le français, l’Histoire et la géographie oui mais la connaissance de soi tout autant !
Pour aller plus loin :
Les neurosciences au cœur de la classe, éditions Chronique sociale
Les Cahiers pédagogiques du CRAP (Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques)
Le GRENE, Laboratoire de recherche de l’Université catholique de l’Ouest (Groupe de REcherche en Neurosciences et Education) a la volonté de lier recherche et pratique, dans la dynamique de la 3e phase du « projet cerveau » de l’OCDE. Animés d’une même envie de produire une réflexion nouvelle pour penser l’école du futur, chercheurs de l’UCO (neurobiologistes, psychologues, sociologues, philosophes, linguistes) et praticiens de l’éducation (enseignants de la maternelle au supérieur, psychologues, formateurs) travaillent ensemble dans une démarche de co-construction des savoirs et des outils.
Emmanuelle JAPPERT