Nous sommes des citoyens engagés.
Nous sommes une enseignante et un enseignant-chercheur mobilisés au service d’une mission publique d’intérêt général qui nous porte depuis le début de notre carrière, au service des étudiantes et étudiants.
Nous croyons à la priorité absolue des valeurs humanistes de solidarité, d’équité, de liberté.
Nous sommes actuellement engagés dans des mandats de vice-présidents de deux des plus grandes universités françaises. Cela engage notre responsabilité plus encore, nous avons fait le choix d’essayer de traduire en actes nos convictions au sein de nos établissements.
C’est en citoyens libres et en nos noms propres que nous voulons aujourd’hui faire entendre notre désarroi et notre colère.
Sur nos campus, dans les résidences universitaires, dans leurs chambres, studios, colocations, beaucoup de nos étudiants ont faim.
Nous ne découvrons pas la réalité sordide et douloureuse de la précarité des étudiants, qui n’accèdent pas aux minimas sociaux et sont trop nombreux à vivre d’expédients et de solutions bancales, de débrouilles improvisées et instables. Le montant de la bourse sur critères sociaux la plus élevée, qui n’est touchée que par 6,7% de la totalité des boursiers, est d’à peine plus de 5 550 euros par an, versés sur 10 mois (pas de bourse en été).
Nous ne découvrons pas l’existence de ces publics particulièrement fragiles. Nous savons que nos étudiants salariés jonglent entre leurs petits boulots, les découverts bancaires, les dettes et les impératifs universitaires, cours, examens, révisions. Que nos étudiants en exil se débattent pour conquérir un statut administratif stable, maîtriser notre langue et reprendre en dépit des traumatismes vécus un cursus de formation. Nos étudiants isolés, nos étudiants internationaux notamment, portant si loin de chez eux l’espoir de leurs proches, nos étudiants jeunes parents aux faibles ressources, qui luttent au quotidien sans parfois les indispensables soutiens familiaux qui nous accompagnent presque tous.
Mais le contexte aujourd’hui fait éclater au grand jour cette réalité insupportable et rend encore plus vulnérables ceux qui étaient déjà fragiles. Parce que nos étudiants fragiles sont de plus en plus nombreux. Chaque semaine, nous-mêmes, nos collègues, les services des universités, les services des CROUS, reçoivent des messages en forme de SOS de la part d’étudiants qui sombrent dans une précarité de plus en plus brutale. Ils ont perdu leur job, dû renoncer à une gratification de stage, ne peuvent plus être aidés par des familles elles-mêmes en grande difficulté… et se contentent d’un repas par jour au mieux.
Alors la communauté universitaire mobilise tous ses moyens : fonds d’aide d’urgence, mise à disposition de cartes de paiement dans les magasins d’alimentation, distributions alimentaires avec nos partenaires associatifs. Nous constatons aussi de beaux élans de solidarité, soutenus par nos fondations, nos associations universitaires et étudiantes, et des organismes caritatifs.
Rien de cela ne sera suffisant dans cette période si chaotique.
Nous en appelons à l’État. Des plans de soutien ont d’ores et déjà été annoncés à différentes branches, secteurs d’activités et corps professionnels. L’urgence d’un « Plan étudiants » s’impose à l’échelle nationale. Parce qu’au-delà du discours porté, à juste titre, sur la santé et sur la vieillesse, sur la relance économique, notre nation a besoin d’un discours fort sur la jeunesse, sur ses qualifications, sur son avenir. Et les annonces récentes ne sont pas à la hauteur de la situation.
Trois mesures simples pourraient, à court terme, endiguer si ce n’est résoudre cette crise devenant structurelle.
- Le gel des loyers dans les résidences du réseau des CROUS pour les étudiants qui n’ont pas pu quitter leur 9m2 parce qu’ils ne disposent pas d’autres solutions
- La réouverture d’un Restaurant Universitaire par campus distribuant, en vente à emporter, un repas par jour pour un tarif qui devrait être inférieur au ticket habituel
- Le maintien aux mois de juillet et août du versement des bourses sur critères sociaux, qui habituellement ne sont dispensées que sur 10 mois, les étudiants étant réputés libres de travailler pour se constituer un pécule en été.
Nos étudiants sont une richesse, une promesse d’avenir, ils sont volontaires, engagés, solidaires, et avides d’apprendre. Ils ne peuvent avoir faim. Il est de notre devoir collectif de les aider.
Emmanuelle Jourdan-Chartier, Enseignante, Vice-présidente Université citoyenne, Université de Lille
Mathieu Schneider, Enseignant-chercheur, Vice-président Culture, Sciences en société, Université de Strasbourg