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Billet de blog 18 avril 2018

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Entretien entre messieurs Macron, Plenel et Bourdin : Ressentis

- Ressentis sur le débat bilan d'Emmanuel Macron - Emmanuel Macron : une approche marketing de la politique ? - Analyser, préparer, esquiver, décrédibiliser, contre attaquer : la force de persuasion d'Emmanuel Macron ? - Dépasser le discours bien rodé pour pousser dans les retranchements et créer le débat de fond

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L’entretien :

Je l’attendais impatiemment, comme beaucoup j’imagine, pour entendre parler des vrais questions sans esquives ni tricherie car messieurs Bourdin et Plenel ne laisseront rien passer. Non pas par esprit partisan, mais pour remettre les pendules, toutes les pendules, à l’heure.

Je crois que je dois me rendre à l’évidence, on est passé au numérique, on ne remet plus les pendules à l’heure, j’ai quelques trains de retard...

Une légère frustration donc, que je ne mettrait pas sur les épaules des journalistes dont je respecte énormément le travail, mais plutôt au crédit de Monsieur Macron, non que j’en sois partisan, mais qui de mon point de vu, et sur la forme, non sur le fond, semble avoir dominé les débats.

De nombreux articles et commentaires dans Mediapart ou dans la presse en général me semblent décrire assez fidèlement le président et son fonctionnement, mais mon principal ressenti à l’issu de cet entretien est : en prend-t-on toute la mesure ?

La méthode EM :

De ces articles et commentaires, deux aspects en particuliers m’interpellent :

- Emmanuel Macron, « l’ovni de la politique »

- Emmanuel Macron, « chef comptable » aux techniques managériales issues du monde l’entreprise, homme du système et homme de réseaux, monarque solitaire,...

Le premier point, c’est la trajectoire : inconnu du grand public il y a encore quelques années, discret conseiller de François Hollande, puis ministre vedette, candidat improbable aux présidentielles, vainqueur du premier tour, déstabilisateur de l’expérimentée Marine Le Pen durant le débat de l’entre deux tours, vainqueur de l’élection, grand vainqueur des législatives, réformateur quasi incontesté du droit du travail,… Il pourfend tous les pronostiques, et ce soir, contre toutes (mes) attentes il semble se défaire presque tout aussi aisément que de Marine Le Pen, des deux journalistes qui n’étaient pas là pour s’en laisser compter ! Alors, comment fait-il ?

J’en viens donc à mon second point et à ma question : en prend t-on toute la mesure ?

Ce que je veux dire par là, j’ai l’impression également de le retrouver dans une formule d’Emmanuel Macron qui disait quelque chose comme « ne plus vouloir faire de la politique comme avant ». Jusqu à ce soir, je pense que mon esprit s’était inconsciemment focaliser sur le « comme avant ». En regardant l’entretien ce soir, je me suis dit que peut être l’important c’était surtout «  ne plus vouloir faire de la politique ».

Ce que j’ai ressenti ce soir, ce n’est pas un homme politique cherchant le débat, mais un manager conquérant, sûr de ses objectifs, disposant d’un argumentaire marketing bien rodé, connaissant parfaitement ses concurrents/adversaires et leurs arguments, ses clients/électeurs et leurs attentes, ses produits/ dossiers. Comme toute entreprise désireuse de conquérir un nouveau marché, un homme déroulant une à une les étape d’une stratégie commerciale méthodiquement préparer : anticiper, esquiver/absorber, ne pas céder à la pression et au réflexe de l’emportement, défaire, remiser pour finalement renvoyer dans les cordes son/ses adversaires. Enfin, il faut reconnaître les qualités de l’homme : intelligent, vif, incisif, confiant, s’exprimant parfaitement (on est loin des phrases saccadées et insupportables de certains de ses prédécesseurs directs…)

Quand je pose cette question « en prend-t-on toute la mesure », je ne veux en aucun cas remettre en question les qualités des journalistes ce soir, mais peut être plus leur approche en décalage avec celle du chef de l’état. Si je peux me permettre de comparer l’entretien à un match de boxe (pas très original, mais bon...) j’ai ressenti ce soir, comme lors du débat de l’entre deux tours d’un côté deux journalistes, peut être un peu trop désireux d’en découdre qui dès le premier coup de gong se sont rués sur leur adversaire, cherchant le ko immédiat. De l’autre un Emmanuel Macron qui avait vu et revu tous les combats de ses adversaires pour anticiper leurs coups, se bornant à respecter son plan de match et construisant petit à petit sa « victoire ». De fait, les parades étaient toutes préparées et la riposte cinglante, parfois accompagnée d’un œil pétillant ou d’un petit sourie laissant imaginer une pensée intérieure du type, « je prends plaisir à vous affronter, j’avais prévus vos attaques et à aucun moment vous ne me mettez en difficulté. Voyez même comment c’est moi qui vous déstabilise ».

Le sujet « Notre Dame des Landes » m’a paru un parfait exemple de ce scénario, même si tous pourrait faire l’objet de la démonstration.

Ressenti :

Mouvement 1 : Edwy Plenel entre dans le vif du sujet avec des questions de fond sur l’ampleur de l’intervention des forces publiques et sa pertinence au regard des projets d’agriculture alternatifs etc. Il semble avant tout vouloir engager un débat d’idée (c’est ma perception des choses du moins)

Mouvement 2 : Emmanuel Macron qui attendait la question et connaissait parfaitement les critiques à venir esquive en ne répondant pas à Edwy Plenel mais au français. Son objectif n’est en effet pas de convaincre un journaliste qui connaît parfaitement les tenants et aboutissants du dossier peut être que lui et les milles et une façon de le mettre en difficulté, mais ses clients les français. C’est en effet à eux qu’il veut vendre ses produits/réformes. En tout cas, à défaut de les convaincre, il faut au moins qu’ils ne s’y opposent pas. Et mon ressenti est qu’Emmanuel Macron à bien analysé ses clients. Il doit savoir qu’en réalité, la très très grande majorité des français se moquent bien du conflit de l’aéroport et ce depuis le début (en dehors peut être d’un je suis pour ou je suis contre de principe), qu’une majorité sûrement encore plus grande ignore les tenants et les aboutissants et qu’une majorité encore plus grande ignore les réalités du terrain. En résumé la quasi totalité des français ont déjà clôturé dans leur esprit ce dossier et se focalisent sur leurs propres problèmes du quotidien.

Mouvement 3 : puisque les français globalement ne s’intéressent pas à ce qui se passe en n’en connaissent que ce qu’ils ont vu à la télé : des personnes cagoulées jetant des projectiles sur des forces de l’ordre entraînant de nombreux blessés pour un projet qui aux yeux de tous était clôt, le président peut facilement briser les arguments adverses : les français voient des personnes cagoulées, ce sont donc des marginaux, professionnels du désordre sans autre but (puisque le dossier est clôt) que d’en découdre avec l’autorité de l’état. Des marginaux qui de plus squattent des terres qui ne leur appartiennent pas contrairement au bon retraité/travailleur qui à durement acquis son modeste logis.

Mouvement 4 : La riposte incontestable : face aux comportements extrémiste et antisociaux, il faut restaurer l’état de droit et l’ordre publique. Combien de français sont opposés à l’état de droit, à l’ordre publique, à la sécurité, à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre les crimes de guerre ou contre les inégalités ? L’êtes vous monsieur Plenel ? L’êtes vous monsieur Bourdin ?

Les français souhaitent avant tout avoir l’esprit tranquille, donc si on leur dit que le problème n’a pas de légitimité et que l’on à pris les moyens légitime pour le résoudre, on peut passer à autre chose. Comme une entreprise de l’alimentaire qui, ayant parfaitement analysé le comportement du consommateur, vous direz : certes, trop de sucre est mauvais pour la santé, mais dans le fond mon produit n’est pas si mauvais et vous en avez vraiment envie, alors, faites vous plaisir et n’y pensez plus !

Mais l’argumentaire bien rodé qui ne laisse que peu d’espace aux autres participants s’éternise, l’heure tourne et il faut passer à la question suivante. Alors, on recommence, charge, esquive, riposte... Et c’est une grande force de la stratégie d’Emmanuel Macron, une stratégie vielle comme le monde, battre chaque contestation individuellement et bien souligner les divergences plutôt que de faire face à un front uni auquel il ne pourrait résister. Plus de débat de fond, plus d’éléments vérifiables, plus d’engagement sur les sujets qui fâchent,…

Les absents du débat :

On passe ainsi à côté des éléments qui auraient pus mettre en lumière l’incohérence des politiques menées, et qui auraient été plus difficiles à esquiver (par exemple et sans prétention) :

- Monsieur Macron, vous nous parlez d’ordre républicain. Personne ne peut être contre. Mais pourquoi faire intervenir 2500 Gendarmes mobiles sur Notre Dame des Landes, un marécage qui n’intéresse globalement pas les français, dont l’intérêt stratégique national paraît limité, dont les « squatteurs » semblent l’être principalement sur des terres expropriées et qui ne sont plus vraiment utiles, voir encombrantes, pour leurs nouveaux possesseurs, alors que d’un autre côté, des stations des lignes 12 et 4 du métro parisien ne peuvent plus être desservie correctement en raison de trafics de drogue ? Que l’on pourrait faire rentrer l’argent dans les caisses de l’état si désespérément vide en reconstituant les équipes de luttes contre la fraude fiscale ou la corruption qui ont vu leurs effectifs être réduits comme peau de chagrin.

- Monsieur Macron, mettre à rude épreuve 2500 membre des forces de l’ordre durant plusieurs jours occasionnant comme vous le rappelez de nombreux blessés dans leur rang pour un bout de marécage alors que chaque jour on décrit ces mêmes forces de l’ordre comme usées par leurs missions toujours plus nombreuses, en effectifs toujours plus réduits. Les français ne pensent-ils pas légitimement que ces forces pourraient être plus utiles ailleurs ? Pour améliorer la sécurité face au terrorisme, dans les transports en commun, dans les hôpitaux,...

- Monsieur Macron, si les squatteurs sont, comme vous l’affirmez, des professionnels du désordre qui ne recherche que l’affrontement avec les forces de l’ordre, envoyer 2500 gendarme sur un site qui à déjà fait couler beaucoup d’encre n’est-il pas le meilleur cadeau à leur faire ?

- et sur d’autres thèmes : vous rendez la France fiscalement et « socialement » attractive pour conserver et attirer les talents et les investisseurs (CICE, supression ISF sur investissement, réforme du droit du travail,…). Parallèlement, aucun plan aussi ambitieux n’est mis en œuvre pour les banlieues ou les campagnes. Doit on en conclure que ces zones sont à vos yeux à ce point dénuées de talents qu’il faille aller les chercher à l’autre bout du monde, au risque de priver certain pays notamment africains des ressources humaines qui leur son primordiales pour se développer, et qui limiteraient du même coup les problèmes d’immigration ? ...

- etc

Conclusion :

Pour en finir avec ma question initiale « en prend t-on toute la mesure ? », ne faut il pas s’adapter à cette nouvelle forme de « politique plus comme avant » ? Pour recentrer le débat sur les questions de fond et réintroduire le débat politique. Amener l’homme de pouvoir sur le terrain du débat et non glisser sur le sien.

Ne vaut-il pas mieux pour défendre un dossier essayer de ne pas le défendre, quelque soit sa pertinence, puisqu’il n’entraînera pas l’adhésion de la majorité, mais plutôt se concentrer sur les impacts pour chacun et l’intérêt que chacun pourrait y trouver. De montrer comment la méthode du gouvernement étouffe chaque contestation suivant le même processus et qu’une fois la méthode comprise, chaque contestation pourrait retourner la manœuvre. Observer, comprendre et battre son adversaire à son propre jeux sont des pratiques aussi vielles que les rapports de forces humains.

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